Casier judiciaire, Fritz Lang (1938)

La boss des maths

Note : 4 sur 5.

Casier judiciaire

Titre original : You and Me

Année : 1938

Réalisation : Fritz Lang

Avec : Sylvia Sidney, George Raft, Barton MacLane, George E. Stone, Harry Carey

Film étrange et assez composite. Ça commence comme un film romantique, puis quelques notes de film criminel se font jour (on n’est pas encore dans le film noir, même si on est à la toute fin de la période pré-noir). Le mélange des deux n’est pas inhabituel, mais le second l’emporte presque toujours sur la première impression romantique : ici, c’est ce premier aspect qui l’emporte puisque les protagonistes travaillent dans un magasin et vivent une idylle. Et comme le film n’est pas sans humour ou même sans étranges notes parfois de musical, on pourrait alors presque croire à une comédie romantique américaine. La présence de George Raft et surtout de Sylvia Sidney qui vient de tourner dans les deux précédents films de Fritz Lang que l’on pourrait autant qualifier d’humanistes que de pré-noirs (Fury et J’ai le droit de vivre) devait mettre la puce à l’oreille. Quelques détails de l’histoire préparent le terrain avant la révélation de la fin du premier acte qui lancera toute la problématique du film : on apprend que le patron du magasin où travaille tout ce petit monde tient à relancer d’anciens détenus en période de probation dans son entreprise ; à côté de ça, le personnage de George Raft, que l’on sait très vite être un de ces anciens malfrats en réinsertion, doit subir de multiples tentatives d’approches de la part de son ancien milieu.

Le film prend donc son envol quand on apprend que le personnage même de Sylvia Sidney est une ancienne détenue, ce qu’elle cache à son amoureux et bientôt mari. À partir de là, les problèmes ne font que s’accumuler jusqu’à divers points de catastrophe prévisibles. L’originalité du film, c’est ce qu’on retrouvait déjà dans les films précédents de Fritz Lang avec Sylvia Sidney : une certaine veine humaniste. Il est question ici de la réinsertion d’ex-détenus dans la société, mais le film va même plus loin en adoptant de manière surprenante une approche didactique pour ne pas dire propagandiste ou paternaliste. Avec le message simple et clair autour de la maxime : « le crime ne paie pas ». La manœuvre pourrait être naïve et grossière, mais on l’accepte grâce à une astuce inattendue qui fait tout le sel du dénouement du film (un contrepoint, voire un contre-emploi qui vaut le détour). Une fois la grande scène des révélations et des dénouements faite, le film peut alors retomber sur ses pattes et reprendre une tournure romantique, voire comique. Une bonne manière d’achever les années 30 pleines d’espérance et d’humanisme à l’écran en pleine Grande Dépression et avant les années sombres de la guerre. Il n’est plus question alors de voir de tels objets hybrides ou humanistes : les fantaisies comiques, romantiques ou dansantes, d’un côté, de l’autre, les films noirs, de guerre ou d’espionnage… Sylvia Sidney et George Raft étaient d’ailleurs deux de ces visages reconnaissables de cette période pré-noir. À l’heure des films noirs, pendant la guerre, Sylvia Sidney cessera de tourner (peut-être pour élever son enfant), pour ne revenir qu’avec Du sang dans le soleil, tandis que Raft manquera l’occasion de devenir l’icône du film noir naissant en refusant Le Faucon maltais.


Casier judiciaire, Fritz Lang 1938 | Paramount Pictures


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L’Ange blanc, William A. Wellman (1931)

Star system

Note : 4 sur 5.

L’Ange blanc

Titre original : Night Nurse

Année : 1931

Réalisation : William A. Wellman

Avec : Barbara Stanwyck, Ben Lyon, Joan Blondell, Clark Gable

Avoir de bons acteurs, ça vous change tout de même la face d’un film…

On sent que le film a été tourné exclusivement en studio, aucune scène dehors, aucun plan vers l’extérieur, ne serait-ce qu’une vue dans un coin de fenêtre filmée par une seconde équipe. Et malgré cela, grâce aux acteurs, on arrive à y croire. Du moins à être saisi par l’intensité de leur jeu, pris par l’enjeu, et séduit par leur allure et leur personnalité.

Dans la seconde séquence du film, quand elle sort de l’hôpital par les portes-tambour, un passant fait tomber son sac à main : dans cette situation, et encore aujourd’hui, la femme s’excuserait et s’accroupirait pour récupérer ses affaires. Avec Barbara Stanwyck, c’est tout différent. La demoiselle a à peine vingt ans, mais son personnage ne fait pas un geste, laisse l’homme lui faire le travail, et elle, pleine d’assurance et d’audace, le regarde de haut, une main négligemment posée sur la hanche. On appelle ça l’autorité. À deux doigts de l’insolence. On peut dire qu’elle va lui donner un sacré coup de pied aux fesses à l’image stéréotypique de la gentille infirmière… J’ose pas dire coup de vieux, parce que cette image, une image d’asservissement ou au mieux de dévotion, c’est un peu ce qui persiste aujourd’hui. Alors que le personnage de Barbara Stanwyck est ici une rebelle. (Le cinéma, quand il est bon, s’intéresse d’ailleurs rarement à autre chose. Aux rebelles.)

Autour d’elle, il faut avouer qu’elle a à qui parler. Joyeuses années 30… Joan Blondell aura sans doute beaucoup joué les seconds rôles lors de ce début de carrière pour la Warner et à l’époque du « grand remplacement » des acteurs du muet, et Wellman l’utilisera d’ailleurs la même année dans L’Ennemi public. Il faut dire qu’elle est assez exceptionnelle : une autorité différente de celle de la Stanwyck, plus désinvolte et souvent plus comique (c’est son rôle en tout cas ici). Dommage qu’on la perde un peu de vue par la suite.

Mais quand on perd Joan Blondell au profit de Clark Gable, on voit le niveau de la production… et des surprises de casting. Une production toutefois qui donne le rôle du gentil malfrat à un acteur sympathique, alors qu’il aurait tout aussi pu convenir à un jeune Clark Gable.

Le futur acteur de la MGM tient un rôle mineur (il finit d’ailleurs par se faire tuer, Docteur Spoiler), pourtant, dans les deux ou trois séquences où il apparaît, on ne voit que lui. Un maintien exceptionnel (un corps d’athlète qu’on devine derrière son costume de chauffeur, et le haut du corps qui ne fléchit jamais) : la tête bouge, les bras peuvent bouger, la démarche est assurée et franche, mais le buste, lui, demeure en toutes circonstances large et impassible… On sent les heures passées en cours de maintien…

Dans son face-à-face, avec Barbara Stanwyck, il la mangerait presque. Et voir deux acteurs prêts à se bouffer des yeux ou autre chose, parce qu’on ne sait encore s’ils finiront par s’entre-tuer ou par se tomber dans les bras, c’est en général ce qui provoque de bons films d’acteurs. Le sujet du film devenant ainsi accessoire (et il vaut mieux parce qu’on a des relents de films muets dans ces excès mélodramatiques ; étrangement ou non, il est probable qu’on se rendra compte que le son offrira au spectacle beaucoup plus d’impression de réalité et que ces excès à peine croyables ne passeraient plus auprès du public).

Et c’est sans doute pour ces mêmes raisons que le code Hays, en plus d’annihiler toute possibilité de subversion, toute image licencieuse ou toute morale supposée favorable aux criminels aurait tué le mélodrame après son âge d’or au temps du muet. Des projets d’assassiner des gosses, on ne doit voir ça que dans la réalité, dans cet espace où tous les extrêmes sont possibles, l’impensable aussi, pas au cinéma. Ce que les films pré-code rendent encore parfois possibles.

Hommage également à la longue carrière posthume de Lon Chaney, probablement ici dans sa meilleure composition dans le rôle de la gouvernante…

Wellman, qui ne pouvait pas ignorer le potentiel de Clark Gable, tournera avec lui quatre ans après dans L’Appel de la forêt, et vingt ans plus tard Au-delà du Missouri. Deux films qui, contrairement à ici, prendront un peu l’air. Recommandation sanitaire de votre bonne infirmière personnelle. Le cinéaste tournera d’ailleurs par la suite beaucoup plus souvent en extérieurs, c’est peut-être bien qu’il n’était pas très à l’aise en studio.

De son côté, Barbara Stanwyck continuera à donner au spectateur une image de la femme libre et indépendante : deux ans plus tard, son personnage intéressé et cynique dans Baby Face participera sans doute un peu à provoquer la mise en place d’un code de bonne conduite dans les studios. Et pour l’émancipation de la femme, il faudra désormais regarder ailleurs qu’à Hollywood. La contre-réforme conservatrice pourra toujours se poursuivre quelques décennies encore, il aura fallu moins de vingt ans grâce au pouvoir phénoménal de représentation du cinéma pour laisser entrevoir aux femmes un monde où elles ne seraient pas cantonnées aux rôles d’infirmières… Stanwyck, et les autres, avait mis un pied dans la porte ; les spectatrices ont vu la lumière, et ne se sont pas gênées pour entrer.


 

L’Ange blanc, William A. Wellman 1931 Night Nurse | Warner Bros


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L’Épouse de la nuit, Yasujirô Ozu (1930)

Menaces dans la nuit

Note : 3.5 sur 5.

L’Épouse de la nuit

Titre original : Sono yo no tsuma

Année : 1930

Réalisation : Yasujirô Ozu 

Avec : Emiko Yagumo, Tokihiko Okada, Tôgô Yamamoto, Tatsuo Saitô

Mélodrame resserré sur trois ou quatre séquences (l’action, comme le titre du film peut l’indiquer, est concentrée sur une douzaine d’heures). Cela pourrait être totalement ridicule, ou tiré par les cheveux, et en dehors de quelques mouvements de caméra pas très utiles, c’est tout à fait touchant.

La fascination de Ozu pour le cinéma américain transpire à chaque plan, mais l’intérêt est ailleurs. Si sur une heure de film, l’action est réduite, cela signifie que le cinéaste préfère jouer sur la tension, et la confrontation quasi muette, qu’implique une telle situation : le mari fait un casse, se faufile dans la nuit jusque chez lui où l’attendent sa femme et sa petite fille malade pour qui il a besoin de l’argent, mais le taxi qui l’a récupéré était un policier. Ce dernier se présente chez eux afin d’interpeller le père, mais un moment d’inattention profite à la femme qui s’empare du pistolet de son mari et de celui du policier pour le mettre en joue. Image frappante qui inaugure les femmes badass qui seront populaires trois décennies plus tard.

L’action traîne, Ozu est déjà appelé à filmer le rien, à meubler tables, murs, portes et chaises, même la bouilloire y est. Elle n’y tient cependant pas encore tout à fait le premier rôle. En rodage, la bouilloire, la dure vie de figuration, de nature morte et silencieuse à laquelle on ne prête même pas encore attention…

Bref, je m’égare, et le policier en a profité pour, à l’aube, s’emparer des pistolets : la femme s’était endormie. On inverse les rôles : justice pourra être rendue. Ou pas. On attend le médecin, le policier s’attendrit et quelque chose d’inimaginable pour un policier : le voilà qui a des remords (c’est un mélo, pas la réalité).

Happy end. Et éclat de rire : Ozu n’a pas pu s’en empêcher, tous ses films probablement sont des comédies cachées, et ici, ça n’y manque pas, car au moment de saluer son papa qui file au commissariat en compagnie du policier comme d’autres font signe au leur en partance pour le travail, le policier répond au signe de la fille. Tout Ozu est là. L’humour tendre et un peu pince-sans-rire, l’espièglerie.

Le film est par ailleurs réussi, parce que si le scénario a tout jusque-là du thriller, le génie d’Ozu c’est de ne jamais jouer, sinon dans sa réalisation, sur la dureté du genre, avec une direction d’acteurs qui réclamerait des gueules dures ou suppliantes. Si le rôle du père, avec son petit air de bellâtre, pourrait à la limite être plus dans ce registre (mais Ozu semble bien le restreindre en le cantonnant à ce que réclame un mélodrame appuyant plus sur la fibre sentimentale que misérabiliste et criminelle), celui de la mère est clairement un choix pesé et assumé : pas question de montrer un personnage antipathique, indigne, véhément ou grimaçant. C’est Emiko Yagumo qui s’y colle. Beauté digne et force intérieure qu’on avait déjà pu voir dans Perle éternelle de Shimizu l’année précédente (qui est d’autant plus belle qu’elle ressemble à mon ex, mais cela est une autre histoire). Ainsi, paradoxalement, quand elle pointe les deux pistolets vers le policier pour le mettre en joue, on y croit parce qu’on sait qu’elle le fait par désespoir, et parce qu’on sait que ça n’a rien de naturel pour elle. Ces deux parents ne sont pas des criminels, mais Ozu insiste bien là-dessus, alors qu’il aurait été si tentant de jouer, même subrepticement, sur des vices cachés.

Et si ça marche tant que ça, c’est bien aussi parce que le policier n’est pas autre chose : un bon gars. La tension dans ce thriller n’est ainsi pas liée à la menace criminelle malgré la présence des armes pourrait dans un premier temps le laisser craindre, mais elle naît surtout des dilemmes moraux qu’on sent poindre derrière les carapaces que se forgent les personnages : sauver son enfant au prix de la mort d’un policier ou risquer des années de prison ; et pour le policier, risquer des blessés ou des années de prison à un homme qui selon toute vraisemblance a agi comme il l’a fait par désespoir. Les parents sont dignes et honnêtes (malgré le casse du père – il acceptera à la fin de partir avec le flic), et le policier aurait pu si facilement devenir un personnage insignifiant sans insister comme Ozu le fait sur ses remords et son absence de brutalité. Air de faux dur, son visage ne fait pourtant qu’inspirer la confiance et l’humanité.

Pas de place pour les mecs virils, les crapules ou les cabotins chez Ozu. Allez savoir pourquoi maintenant il était aussi fan des films américains de l’époque…

À ranger possiblement dans les antifilms. Un mélodrame, certes, mais un thriller aussi qui joue beaucoup plus sur la carte sensible que sur une exaltation ou même une simple illustration de la violence, du gain, de l’ambition, du vice, etc. Avec, je le rappelle, cette dernière note audacieuse d’humour qui ne dit pas son nom.

L’année suivante, Yasujirô Ozu tourne avec les deux mêmes acteurs principaux Le Chœur de Tokyo, une comédie légère, sociale et triste plus conforme à ce qu’on attend du style de Ozu. (On n’y remarquera par ailleurs, la présence de Hideko Takamine en petite fille malade, de Chouko Iida, habituée des rôles d’aubergistes et qu’on remarquera surtout quinze ans plus tard dans Récit d’un propriétaire du même Ozu ou encore de Takeshi Sakamoto, lui aussi surutilisé dans les seconds rôles au cours des décennies de l’âge d’or du cinéma japonais, jouant les vieux dès son premier âge, et dont le rôle le plus fameux interviendra en 1934 dans Histoire d’herbes flottantes. Le cinéma japonais de cette époque est une petite famille…)


L’Épouse de la nuit, Yasujirô Ozu 1930 Sono yo no tsuma | Shochiku


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The Penalty, Wallace Worsley (1920)

Les nuits de San Francisco

Note : 4 sur 5.

The Penalty

Titre français : Satan

Année : 1920

Réalisation : Wallace Worsley

Avec : Lon Chaney, Charles Clary, Doris Pawn, Jim Mason

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Tous les éléments du bon vieux crime film, charnière entre deux époques du muet (celle des années 10 aux costumes encore souvent d’inspiration Belle Époque, et celle des années 20, où l’émancipation de la femme se fera beaucoup à travers sa représentation, notamment vestimentaire, au cinéma).

Les recettes sont celles des romans de gare de l’époque, le mélo y est partout. Et les excès du mélo, c’est un peu les excès high-tech ou de super-héros d’aujourd’hui. D’ailleurs, on oserait plus ces tours de passe-passe narratifs et ces archétypes grossiers que dans des romans pour la jeunesse. Et c’est en partie cela qui me plaît. Si on ne semble pas encore être entrés dans les années 20, c’est que le film rappelle pour une partie les serials notamment français des années de guerre comme Fantômas.

Les ficelles sont grosses, on tire pas mal sur la corde, mais ça marche. On aurait un tout autre acteur que Lon Chaney pour interpréter ce Satan, et on n’y croirait moins. Mais deux éléments du film m’ont encore plus impressionné : toute la structure du montage narratif et la structure adaptée à l’environnement mental et physique d’un gangster estropié comme Blizzard.

D’abord, pour ce qui est de la réalisation, l’usage très à la mode du montage alterné a rarement été aussi bien employé : pour créer dans l’esprit du spectateur la sensation d’urgence, on continue aujourd’hui dans les films d’action à gros budget à adopter ce même principe qui est de passer alternativement d’un espace et d’une séquence à l’autre rapidement afin d’insinuer dans l’esprit du spectateur la simultanéité des événements, voire symboliquement ou non, leur confrontation. Cela ne marche évidemment que si cette urgence créée artificiellement est justifiée par la tension de la situation combinant les deux séquences ainsi alternées. Dans un crime film de ce type, et avec un méchant aussi machiavélique, un tel montage alterné est plus que justifié.

Par ailleurs, au contraire des films de Feuillade où le plan moyen est encore dominant, on voit ici qu’on a parfaitement digéré les échelles de plan qui s’imposent encore aujourd’hui. Des plans moyens introductifs, puis on passe rapidement à des échanges en champ contrechamp et plan américain ou plan rapproché (le plan américain étant ici plutôt une coupe à la taille plutôt qu’à mi-cuisse, et cela n’a probablement rien à voir avec le handicap du personnage principal…).

Ensuite, pour ce qui est des décors faits à la mesure du personnage, à la manière plus tard de Underworld ou de fantaisies comme Batman, ou de bien d’autres films de gangsters, le décor caché est presque un passage obligé.

Le repère de Blizzard est d’abord un immeuble où il peut contrôler dans chacune des pièces ses employés, puis on entre dans son antre par une porte avec une poignée (une plus basse adaptée à sa taille). Sa pièce de vie et richement décorée, et on découvre au fur et à mesure du film les quelques astuces d’adaptation ajoutées pour ce chef estropié : une petite échelle murale lui permettant de grimper vers un sas, ou soupirail, à travers lequel il peut communiquer avec ses employés, mais surtout la traditionnelle pièce cachée derrière un mur ou ici une cheminée et accessible via un mécanisme secret. La cheminée de donne d’ailleurs pas seulement accès à une pièce cachée, mais à tout un sous-sol devant servir ultérieurement au gangster à la fois pour suivre son ambition de réhabilitation (corporelle, mentale, ou simplement de vengeance) et pour mettre la main un jour sur la ville.

Cette dernière ambition d’ailleurs est l’occasion d’un procédé narratif là encore très populaire dans les films d’action d’aujourd’hui (de mémoire, il me semble que Christopher Nolan l’utilise dans Tenet, et j’ai dû voir ça aussi dans le dernier Spider-Man) : l’illustration d’un plan énoncé et censé s’exécuter plus tard, toujours en montage alterné mais en accéléré, et exposé « verbalement » par le personnage qui l’a mis en place. (Ce procédé de récit dans le récit avait déjà été employé, mais cette fois pour évoquer non plus des actions à venir, mais le passé, dans Homunculus, je l’avais décrit ici.)

Même la fin adopte un procédé narratif très en vogue aujourd’hui : le twist… Les gangsters ne goûtent guère les réhabilitations faciles et surprenantes.


 

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La Tête d’un homme, Julien Duvivier (1933)

La Tête d’un homme

Note : 2.5 sur 5.

La Tête d’un homme

Année : 1933

Réalisation : Julien Duvivier

Avec : Harry Baur, Valery Inkijinoff, Alexandre Rignault, Gina Manès, Damia

Film affreusement lent avec pas mal de résurgences de films muets. On sent presque que Duvivier chercherait à trouver une sorte d’intensité molle inspirée de M le maudit (1931), assaisonnée par quelques tourments crapuleux assez peu photogéniques, sans doute déjà bien présents dans l’histoire de Simenon, et qui feraient plutôt penser à Crime et Châtiment. Le tour ne prend pas. Duvivier avait un superbe scénario de Simenon, et il n’en a pas tiré grand-chose sinon un film lent à l’intensité inévitablement forcée.

Le film n’est même pas à voir pour Harry Baur qu’on a connu plus inspiré : le stoïcisme de Maigret, à lui ce gros ours sensible, ne lui convient pas vraiment. Une dernière scène intense avec les larmes qui vont avec, mais avant ça il semble s’ennuyer et son humanité légendaire n’y change pas beaucoup plus (je demande à voir, mais jusqu’à présent Harry Baur a surtout été convaincant dans des rôles de victimes — David Golder, Les Misérables, Un grand amour de Beethoven —, pas assez roublard pour ça, et pas assez « fin » pour Maigret).

En fait, les deux seuls rayons d’espoir du film, c’est l’interprétation de l’acteur russe Valéry Inkijinoff (le nuage de Tempête sur l’Asie a semble-t-il passé la frontière), d’une autorité et d’une présence, pour le coup, franchement impressionnantes. Le même caractère, ou faciès plutôt, insaisissable, que Yul Brynner, qu’on imagine venir de lointaines steppes non identifiées, mais surtout une intelligence dans le regard et une assurance folles… Pour voler la vedette à Harry Baur, il faut en avoir du talent. Le dernier bon point du film, c’est la chanteuse Damia qui pousse sur un coin de lit sa complainte d’une grande joyeuseté : et la nuit m’envahit, tout est brume, tout est gris


 
La Tête d’un homme, Julien Duvivier 1933 | Les Films Marcel Vandal et Charles Delac

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Le Policier, Tomu Uchida (1933)

Note : 4 sur 5.

Le Policier

Titre original : Keisatsukan

Année : 1933

Réalisation : Tomu Uchida

Avec : Eiji Nakano, Isamu Kosugi, Taisuke Matsumoto

On croirait voir un film hongkongais des années 80. Les amours contrariées et homosexuelles (quasi) entre deux amis, l’un policier l’autre truand. Ce dernier tue le mentor du premier lors d’un casse qui tourne mal. Le flic cherche alors à retrouver le coupable, et ses soupçons se portent sans qu’il n’y croie d’abord sur son meilleur ami.

Ce serait une commande, et Uchida, avec ses tendances gauchistes, aurait accepté le projet tout en y ajoutant un sel bien personnel, celui comme toujours empreint d’humanisme. Avec un thème éternel dans le cinéma, très cornélien, la lutte entre la passion et le devoir. D’une commande Uchida arrive à sortir un film intense et plein d’inventivité.

Ce qui marque surtout ici c’est l’habilité d’Uchida à manier sa caméra : beaucoup de panoramiques, de travellings (parfois peut-être un peu trop ostentatoire comme dans une séquence de course-poursuite), et globalement un allant qu’on ne retrouvera plus volontiers que vingt ou trente ans plus tard pour un genre qui semble avoir été délaissé pendant toutes ces années (et qui, en dehors des adaptations de Seichô Matsumoto, se pencheront peut-être plus volontiers, et exclusivement, du côté des yakuzas que de la police).

La longévité des cinéastes japonais laisse rêveur : trente ans après Uchida réalisera Le Détroit de la faim

Partition remarquable rendue par la pianiste Satsuki Hoshino à la Cinémathèque.



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Chantage, Alfred Hitchcock (1929)

Note : 4 sur 5.

Chantage

Titre original : Blackmail

Année : 1929

Réalisation : Alfred Hitchcock

Avec : Anny Ondra, John Longden, Sara Allgood

Premier Hitchcock vu depuis des années voire des décennies. Jamais vu celui-ci.

Mise en scène très maniérée, toute en gros plans et en mouvements de caméra. Tout cela est peut-être un peu trop systématique, ou forcée, mais c’est vrai aussi qu’on est encore dans le muet et qu’il faut bien séduire le spectateur avec du visuel plus qu’avec le reste. La composition des plans est remarquable, Hitch profite d’une jolie profondeur de champs. Et le rythme est forcément (c’est sa force, au gros), irréprochable, plein de tension. Jamais on ne s’ennuie.

Ce pervers de Hitchcock nous trouve les jambes de blonde les plus belles du monde, et il ne se prive pas de nous les montrer sous tous les angles (suggestif avec ça, parce qu’il sait rester correct : les bas sont blancs opaques, merci pour le symbole).

L’impression d’avoir vu cette histoire mille fois (ça me rappelle du Lang, La Rue rouge, il me semble). Mais peu importe ce qu’on raconte, seule la manière compte. Et Alfred Hitchcock connaît son affaire sur le bout des doigts.


 


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L’Assommeur / La Rafle, Josef von Sternberg (1929)

Crépuscule de gloire… pour George

Note : 2.5 sur 5.

L’Assommeur / La Rafle

Titre original : Thunderbolt

Année : 1929

Réalisation : Josef von Sternberg

Avec : George Bancroft, Fay Wray, Richard Arlen

Un des premiers parlants, et ça se sent. En dehors de quelques répliques bien senties, l’histoire est lente et statique. On voudrait croire après Les Nuits de Chicago se trouver face à un film de gangster, mais on tombe très vite dans le vaudeville. Trio amoureux de circonstance. Pour la violence, l’action, il faudra repasser. Les flingues sont présents, mais ils apparaissent comme des sexes d’exhibitionnistes : « C’est bien une arme ? Oui, c’en est une. Tu la vois bien ? Regarde-la encore. T’es sûr que tu l’as bien vue ? Tu ne veux pas la regarder encore un peu ? »

Cette lenteur est valable un peu pour tout en fait. Josef von Sternberg peine à instaurer une atmosphère (les décors, il faut le dire, ne sont pas à la hauteur ; et le travail sur la lumière inexistant ; signe sans doute d’une production faite à la va-vite pour proposer un film sonore). Surtout, le rythme des scènes dialoguées est pataud, n’offrant aucun mystère et intensité… C’est un peu terrible à dire pour George Bancroft, si charismatique dans Les Damnés de l’océan (il me faut revoir Underworld) : il n’est convaincant que dans une scène où il fait le pitre… à appâter un chien en tortillant du cul. Une scène muette, bien sûr. Il est incapable de penser seulement ce qu’il raconte et adopte un débit affreusement lent et appuyé dans le désir sans doute de créer une tension. Je l’ai déjà dit, von Sternberg n’est pas un grand directeur d’acteurs, et malheureusement ça se ressent ici. Le jeu de corps pour Bancroft reste excellent, mais Dieu qu’il paraît idiot et perd toute autorité dès qu’il ouvre la bouche… Richard Arlen n’est pas bien meilleur, mais dans des personnages ingrats (ceux de bellâtres), il s’en sortira, de mémoire, un peu mieux dans L’Île du Docteur Moreau.

Une bonne moitié du film se déroule en prison. Excellente idée pour annihiler toute possibilité d’action et renforcer l’idée d’un cinéma parlant statique.

Après cette horreur, Josef von Sternberg retourne en Allemagne pour retrouver Emil Jannings (son acteur de l’excellent Crépuscule de gloire) et lancer la carrière d’une certaine Marlene dans L’Ange bleu. Dès l’année suivante pour son retour à Hollywood, bon nombre des acteurs muets auront été mis au placard, et Josef aura appris sa meilleure leçon de direction d’acteurs : se contenter des meilleurs. Autrement dit, au revoir George Bancroft, bonjour Cary Grant et Adolphe Menjou (on se rappellera que William Powell était déjà présent dans Crépuscule de gloire, son heure arrive).


L’Assommeur / La Rafle, Josef von Sternberg 1929 Thunderbolt | Paramount


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Crime et Châtiment, Josef von Sternberg (1935)

Remords

Crime and Punishment Année : 1935

6/10 IMDb  iCM

Réalisation :

Josef von Sternberg

Avec :

Peter Lorre
Edward Arnold
Marian Marsh

Pas bien compris l’angle abordé dans le film, ou le livre. Un bon épisode de Columbo, on voudrait presque dire. Les codes y sont identiques.

Gros souci dans le découpage. Aucun plan pour nous placer le récit dans un environnement. Les rares plans dans les rues font penser furieusement à celles de M et n’aident pas beaucoup plus à aider à croire en cette histoire.

La direction d’acteurs laisse à désirer. Si Edward Arnold est impressionnant, tout comme les autres par intermittence, Josef von Sternberg leur laisse trop de liberté et se soucie peu de créer une atmosphère capable de les baigner dans le même moule. Le choix des deux actrices (la sœur et l’amie) paraît un peu discutable (trop jolies et trop distinguées pour les rôles). Peter Lorre propose de nombreuses idées censées suggérer sans doute les tourments de leur personnage, mais ça va un peu dans tous les sens et les autres ne peuvent pas suivre (sauf Arnold).

Le tout reste bien statique et bavard. On n’adapte pas une œuvre littéraire, on fait des films ; et une adaptation n’est pas encore du (grand) cinéma…

(Salle étrangement bondée à la Cinémathèque pour un film si mineur de Josef von Sternberg).


Crime et Châtiment, Josef von Sternberg 1935 Crime and Punishment | B.P. Schulberg Productions, Columbia Pictures


Les Espions, Fritz Lang (1928)

Bong, James Bong

Spione

Note : 3.5 sur 5.

Les Espions

Titre original : Spione

Année : 1928

Réalisation : Fritz Lang

Avec : Rudolf Klein-Rogge, Gerda Maurus, Willy Fritsch, Lupu Pick

Fritz Lang en champion du montage alterné. On le dira jamais assez, Hitchcock n’a rien inventé, que ce soit au niveau du suspense (alterner et multiplier les points de vue, ça permet de mettre en suspens l’action qu’on délaisse quelques secondes pour une autre) ou au niveau de l’action pure, tendance espionnage, dont il serait à l’origine avec La Mort aux trousses (film qui aurait lui-même inspiré James Bond, et James Bond ayant à son tour inspiré le cinéma d’action moderne, etc.). On peut aller très loin comme ça, jusqu’à l’origine du cinéma, du vrai cinéma, c’est-à-dire à la naissance du montage, donc du récit filmique, du côté de l’école de Brighton et de leur… chase films. Si certains s’ennuient aujourd’hui de ne voir au cinéma qu’une suite de films décérébrés, le cinéma est né comme ça. L’action, c’est la base du cinéma. Et donc si Hitchcock n’a rien inventé, Lang, avec sa femme à l’écriture (la charmante Thea von Harbou, qui savait à sa manière déjà exploiter ses histoires puisqu’elle en faisait des romans de gare — pratique très courante durant la grande période des serials), n’a pas plus été initiateur de quoi que ce soit (et pas plus que Griffith, inventeur supposé, donc, du montage alterné).

Bref, le cinéma n’est pas affaire d’invention mais de savoir-faire. Et on voit déjà ici l’évolution, la maîtrise, depuis les Araignées.

(Il ne faut pas le dire trop fort, mais le cinéma, comme le reste, est aussi affaire d’escrocs : si dans tous les cas, ce ne sont jamais les inventeurs ou les premiers qui sont récompensés ou passent à la postérité, le but, c’est encore de le faire croire. Tout est affaire, donc, de publicité. N’est premier que celui qui parvient à le faire savoir. Le faire savoir, et le savoir-faire. Il est là le tour de passe-passe de l’escroc.)

Lang maîtrise donc. Si tout l’aspect d’espionnage est un peu gonflant, tout l’aspect « aventure », action, est un vrai bonheur, justement grâce à l’utilisation à outrance du montage alterné avec un nombre impressionnant de personnages pris dans des situations simultanées. En littérature, il y a les connecteurs logiques qui articulent un récit ; dans un film, c’est pareil, le montage ne dit pas autre chose que « et pendant ce temps ». Cette capacité du cinéma à raconter une histoire à travers un montage de « vues » m’étonnera toujours…

On pourrait retourner la dernière demi-heure du film, avec le même montage, les mêmes décors, la même action, qu’on aurait l’impression de voir un thriller d’espionnage hollywoodien actuel (à la Jason Bourne). Fritz Lang donne à voir à chaque seconde du film, chaque nouveau plan raconte quelque chose de neuf, ça n’arrête pas sans qu’on soit pour autant dans l’agitation : un film d’action n’est pas forcément un film « agité », là encore, c’est le montage alterné qui fait tout. L’action est d’ailleurs typique des films d’aventures, des serials de l’époque ou des films stupides contemporains : un méchant dans l’ombre, génial et créatif, un brave héros, inflexible et increvable, qui arrive à tourner la tête de sa belle, qui bientôt devra choisir entre son amour pour lui et son devoir… Oui, il y a déjà quelque chose de James Bond, en moins cynique peut-être, ou de misogyne. Il est bon parfois de se faire remettre les poings sur les i.

Bing, Bong.

Les Espions, Fritz Lang 1928 Spione | Fritz Lang-Film, UFA


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Les Indispensables du cinéma 1928

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Le silence est d’or

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