Dernier Train pour Busan, Sang-ho Yeon (2016)

Note : 4 sur 5.

Dernier Train pour Busan 

Titre original : Busanhaeng

Année : 2016

Réalisation : Sang-ho Yeon

Avec : Gong Yoo, Jung Yu-mi, Ma Dong-seok

Peut-être plus qu’un film de zombie. Alors que le prequel est complètement raté (Seoul Station) en faisant surtout d’une vraie zombie (au sens figuré) une fille perdue qui attend que son petit copain qui la prostitue vienne la sauver (je crois qu’on ne pourra pas faire plus terrorisant au rayon du sexisme : une victime demandant l’aide à un homme qui la maltraite, et cela au premier degré, c’est littéralement le canevas du film avec une chute qui arrive même à enfoncer le clou), eh bien, tout l’aspect émotionnel ici est parfaitement conçu. C’est bien sûr très convenu, mais vu l’écart lamentable et la faute de goût de Seoul Station, il faut savoir s’en satisfaire. La relation entre la fille et son père, puis celle entre le malabar et sa femme enceinte, c’est vraiment ce qui donne au film sa saveur. Et je crois surtout que je suis fan de Ma Dong-seok qui était déjà responsable en bonne partie du succès du Gangster, le Flic et l’Assassin.

Plus qu’un film de zombie aussi parce que dans la tradition des meilleurs films du genre (et c’est peut-être le genre que j’aime le moins au monde), on y retrouve une satire assez féroce de nos sociétés contemporaines. La critique ici est peut-être moins sur le consumérisme qu’autrefois, mais plus sur l’égocentrisme de nos sociétés. La gamine rappelle à son père que c’est pour ça que sa mère les a quittés (la vérité sort de la bouche des enfants) ; le vagabond, plusieurs fois, leur sauve la mise (c’est donc le type dont notoirement personne ne se soucie : dans une voiture remplie a priori de personnes saines à un moment, l’un d’eux explicite bien la valeur supérieure des personnes qui ont des proches à l’extérieur qui les attendent ou pourraient avoir besoin d’eux) ; et bien sûr, on n’échappe pas à la caricature de l’homme influent cherchant à s’en servir pour échapper coûte que coûte aux « fous » au détriment de tous (alors que le personnage principal est lui au contraire pendant tout le film dans une sorte d’apprentissage : l’influence est inverse, il passe du trader égocentrique à l’homme qui se sacrifie pour ceux, et celles, qui lui ont justement fait la leçon). C’est une belle morale à l’histoire : dans ces situations, on sait que les puissants s’en sortent le mieux, non, comme on le disait à une époque où on avait plus d’honneur et moins la fibre sociale : « les femmes et les enfants d’abord ».

Les blockbusters coréens font souvent dans la morale suspecte en tirant facilement sur les « méchants », caricatures sans ambiguïté du mal ; pour une fois que la satire (ou la critique sociale) est réussie, il ne faut pas bouder son plaisir. Ce n’est d’ailleurs pas si loin de la morale qui fera le succès de Parasite. Ironiquement, il me semble que ces deux films ont été tournés dans une rare période dirigée par une politique de centre gauche. Déjà depuis, le pays est retombé aux mains de la droite. Ironiquement encore (ou pas), si on peut voir aussi le film comme une sorte de mauvais présage des comportements qui verraient le jour avec la pandémie, l’excellente gestion sanitaire du pays était à mettre au crédit d’un pouvoir qui pour la première fois mettait au cœur de sa politique la préservation de la santé de tous au détriment de l’économie ou des libertés individuelles (même s’il me semble que ça se joue parfois à rien : si autant de précautions ont été prises pour éviter une épidémie domestique, c’est qu’un confinement y aurait été illégal). Peut-être que la bonne santé des œuvres, quand elles proposent une satire fine du monde dans lequel elles évoluent, permet aux forces démocratiques d’un pays de rester plus efficacement en alerte et ainsi à la société de mieux réagir face aux nouvelles menaces… (Oui, je suis en train — parti pour Busan — de faire un raccourci entre film de zombie, pandémie et gestion sanitaire d’un pays.)


Dernier Train pour Busan, Sang-ho Yeon 2016 Busanhaeng | Next Entertainment World, RedPeter Film, Movic Comics

Valhalla Rising, le guerrier qui ne souffle mot, Nicolas Winding Refn (2009)

À l’Aguirre comme à l’Aguirre…

Note : 2.5 sur 5.

Valhalla Rising

Titre français : Le Guerrier silencieux / Le Guerrier des ténèbres

Année : 2009

Réalisation : Nicolas Winding Refn

Avec : Mads Mikkelsen, Maarten Stevenson, Alexander Morton

Vaine tentative d’imitation du petit Nicolas. Entre Aguirre et Apocalypse Now. Seulement comme d’habitude, le bon Nicolas n’a pas de scénario et pense pouvoir s’en sortir en faisant contemplatif à travers sa mise en scène. Pas de chance, sans vent, la barque de Nicolas n’avance pas. Alors il siffle et tente d’imiter le vent en gonflant les joues. Pas de chance non plus, les muses viennent le mettre à l’index et ses joues font prout.

Enfin, puisque Nicolas voudrait malgré tout faire quelque chose de ces quelques filets d’air qui sortent ridiculement de ses joues, il se dit que s’il annonce chacun de ses prouts par des titres de chapitre, le spectateur en sera incroyablement impressionné. Façon Duchamp, ou Magritte. « Ceci est un urinoir. Non, ce n’est pas ça. Je suis une mouette. » Cris stridents au loin qui font mystérieux. Et du coup, ça fait encore pschitt, mais Nicolas est content. 

Nous, un peu moins. On a payé dix balles pour le voir faire des prouts avec sa bouche, et on n’a plus qu’une chose à dire quand la lumière revient et qu’on croit se réveiller d’un long sommeil : « Souffler n’est pas joué, Nicolas. »

Il fait le malin et croit nous impressionner avec le tour des autres qu’il récite comme un enfant de dix ans qui les a appris la veille, mais nous, on voit tout. C’est trop pour de faux.

(En vrai, proposer un film quasiment sans dialogues, ça fait rêver. Mais on aurait pu penser dans ce cas que l’accent soit porté sur le scénario, la force des péripéties. Non, Refn ne vit et meurt que pour la mise en scène. Sauf qu’il est balourd et qu’une mise en scène sans tension et intérêt naissant par la situation, aucune situation mise en scène n’a intérêt à être suivie. La mise en scène est un outil, pas une finalité. Les films purement illustratifs, c’est bon pour la publicité. Et Refn n’a jamais fait que de la publicité. Son produit, c’est lui-même. Rien à vendre, rien à dire. Du vent plat.)


Valhalla Rising, Le guerrier silencieux, Nicolas Winding Refn 2009 BBC Films, La Belle Allee, NWR Film Productions, Nimbus Film Productions, One Eye Production


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Exilé, Johnnie To (2006)

Les mousquetaires de Macao

Note : 3.5 sur 5.

Exilé

Titre original : Fong juk

Année : 2006

Réalisation : Johnnie To

Avec : Nick Cheung, Anthony Chau-Sang Wong, Francis Ng, Simon Yam

Un brin de John Woo, un autre des Trois Mousquetaires. Rien compris en début du bal de qui est qui, puis une fois qu’on entre dans la danse chorégraphiée des échanges de tirs, et surtout que les masques tombent, tout devient un peu plus clair…

Le sens de la camaraderie cher à John Woo donc (voire Tarantino), des balles qui échappent aux corps jusqu’à l’absurde dans un joli ballet macabre, des personnages qui ne prennent jamais la mort au sérieux et qui ne portent jamais aussi bien cette épithète de “cool” : une composition visuelle et thématique qui ne peut que ravir les sens de mon bulbe reptilien. La violence est parfaitement gratuite, et par conséquent jamais prise au sérieux. La violence ici n’est qu’un geste, un pas de côté, un entrechat parmi d’autres. Car seule compte cette chorégraphie des corps évitants et encaissants les balles… Qui est qui ? Eh bien, il y a ceux qui sont à l’épreuve des balles, et ceux qui tombent dans une mare de sang et qui sont appelés à disparaître sans fondu ni trompette. A Better Tomorrow 4, pourrons-nous presque dire.

Le petit côté mélodramatique, souvent nécessaire afin de servir de contrepoint voire « d’empathisation » des “héros”, est assuré par le personnage de la femme d’un de ces mousquetaires-gangsters (son côté badass en revanche est probablement moins wooesque, les femmes y étant plus volontiers chez John Woo, certes victimes, mais surtout spectatrices inactives, impuissantes et pleureuses face aux gesticulations des mâles de leur entourage, à moins que ce soit une marque d’évolution de la femme chinoise post-rétrocession — on peut rêver).

C’est un cinéma certes très sexué, mais puisque visuellement tout est ballet, puisqu’on joue sur les archétypes et utilise le sens de la camaraderie et de l’honneur envers les siens plus qu’envers un clan, on pourrait presque dire qu’il s’agit là plus d’opéra que de réalisme, plus de mélodrame que de film de mafia chinoise. À l’opéra, on joue des stéréotypes sexués. Et la patte sentimentale, encore à la John Woo, change toute la donne. Comme Tarantino, Johnnie To semble parfaitement s’en inspirer. Cette tonalité-là, c’est celle des mélodrames d’antan où rien n’est réel, pris au sérieux, et où on n’hésite pas à jouer sur la corde sensible… Je ne sais pas dans quelle mesure le cinéma coréen commercial à excès que j’exècre d’ailleurs (Hope, J’ai rencontré le diable, The Host, Office, Thirst, etc.) participe à la même logique mélodramatique, mais manifestement il faut y reconnaître une parenté de principe, qui malheureusement parvient que trop rarement à me convaincre (possible aussi que le cinéma hongkongais ne s’en tire pas forcément mieux dans mon esprit : Exilé ferait, avec d’autres, un peu figure d’exception, à placer à côté d’autres réussites, mais somme toute, là encore, rares, et même si on peut relativement imaginer que je suis encore trop vert pour en juger, peut-être verrais-je poindre une passion future pour d’autres de ces productions du cinéma hongkongais : de To, je n’ai d’ailleurs vu jusqu’ici que l’excellent PTU* et le moyen Election).

* brièvement commenté ici.


 

Exilé, Johnnie To 2006 | Media Asia Films, Milky Way Image Company, Newlink Development


Listes sur IMDb : 

MyMovies : A-C+

Liens externes :


Matrix Resurrections, Lana Wachowski (2021)

Notes diverses

Transcription de réponses faites essentiellement sur Twitter.

The Matrix Resurrections, Lana Wachowski 2021 | Warner Bros., Village, Roadshow Pictures, Venus Castina Productions

Réponse au podcast C’est plus que de la SF épisode Matrix Resurrections :

https://t.co/eQZhtMk3Tr

« L’époque n’est peut-être plus aux blockbusters mais aux séries. »

Les films cités, blockbusters contemporains sont presque tous des séries. James Bond, Spider-Man et tous les films Marvel / DC, Matrix, on est en plein dans ce qu’on appelait il y a un siècle, et qui faisait déjà le succès de ces mêmes studios à l’époque du muet : les serials. Avec souvent les mêmes recettes : l’aventure, le crime, le sentimentalisme, le complot, l’exotisme (la high-tech SF, voire le cyberpunk, c’est une forme d’exotisme). Même Dune à sa manière, c’est du serial. Adapter une seconde fois (et pardon, toujours avec si peu de talent) un feuilleton littéraire SF, ça relève aussi de la logique du serial. Avec une logique qu’on pourrait résumer ainsi : un maximum de risques pris par les héros ; un minimum pris par les créateurs (voire le public pour qui les “révisions” de ses doudous passés, s’ils ne sont pas à la hauteur, sauront toujours au moins lui rappeler l’ivresse des hauteurs passées…). Sur les quatre intervenants, vous êtes trois à souscrire totalement à cette révision (ou reboute). Quand on aime sans doute, on ne compte pas… les suites.

Seulement, il y a quelque chose qui m’interpelle dans vos commentaires et vos analyses. C’est que vous ne voyez un film qu’à travers le prisme des intentions supposées d’un auteur, jamais de l’exécution.

C’est une constante chez les critiques, on le sait. On juge et défend des films, des cinéastes, en fonction de ce qu’on suppose, ou sait, de ce qu’ils ont voulu dire. Avec cette approche (quoi, dialectique ?) on en vient toujours à trouver des justifications à des ratages. Quand le public n’est pas allé voir un film ou ne l’a pas apprécié, c’est alors qu’il ne l’a pas compris ; si le public court en voir un autre, il ne l’apprécie pas pour les bonnes raisons parce qu’il n’en a pas compris le sens (forcément).

D’abord, ça supposerait que les intentions d’un auteur (si tant est qu’il en existe un – on connaît la propension de certains critiques à faire de simples exécutants de studio de cinéastes) soient comprises. Il n’est pas rare de voir des cinéastes s’amuser des interprétations faites par certains professionnels, à quoi ces critiques ont vite fait de laisser entendre que des cinéastes peuvent révéler beaucoup d’eux-mêmes sans s’en rendre compte dans leurs films. Soit, mais ce serait des interprétations d’autant plus faciles à faire qu’un “auteur” aurait réalisé plusieurs films, avec ses petites manies certes, ses petits secrets de fabrication (comme c’est amusant de remarquer que l’acteur est l’actuel mari de et l’ancienne doublure de : le sens caché des choses, toujours :) ).

Mais ça supposerait encore qu’il y ait une réelle valeur à juger un film en fonction de ses intentions (cachées, supposées, interprétées, analysées, etc.). Pardon d’être radical, mais je pense que les intentions, c’est un peu comme l’imagination : tout le monde en a. Tout le monde est capable de créer un univers qui ne serait fait que « d’intentions », de « sens cachés révélés que par une poignée d’insiders, d’érudits ou de fans assidus ».

Les intentions, les bonnes comme les mauvaises, comme les idées, c’est gratuit. Au cinéma (comme en littérature), qu’est-ce qui fait qu’une idée est bonne ? Quand elle est articulée avec d’autres idées, pas forcément bien originales d’ailleurs, et que tout un savoir-faire, une technique, se met à son service pour laisser supposer qu’il n’y en a pas de meilleure.

Rare photo de Lana Wachowski tentant de rejoindre les deux bouts : The Matrix, The Wachowski (1999) | Warner Bros., Village Roadshow Pictures, Groucho Film Partnership

Et là, c’est cruel pour les commentateurs ou les analystes, parce que si on peut juger d’une intention ou d’une idée rien qu’en l’évoquant, c’est beaucoup plus difficile, et toujours discutable, de juger du savoir-faire technique et narratif d’un cinéaste. (C’est bien pourquoi rares sont ceux qui s’y aventurent. Les critiques proposent ainsi soit des commentaires descriptifs qui paraphrasent à leur manière ce qu’ils ont vu, ce qu’ils interprètent ou ce qu’ils jugent être de valeur dans un film, soit des analyses personnelles rarement techniques.)

Tout ça pour dire que s’agissant d’un blockbuster, le public se trompe rarement. Sauf, évidemment s’il se rue sur un film, faute de mieux (Spider-Man, en cette fin d’année). Pour des films plus confidentiels, j’aurais tendance à penser aussi qu’ils finissent toujours par trouver leur public et par être loués par les critiques…

Ainsi, je doute que des critiques ayant déjà souscrit à de précédentes resucées, à mon sens, ratées (je ne parle pas des intentions, mais de savoir-faire, ce qui est une manière assumée d’accepter l’immense part de subjectivité de nos jugements ; alors qu’une interprétation : Freud parle, il n’y a plus rien à dire^^), soient capables de juger un film, appartenant à une série précédente, différemment des autres. Au contraire, un nouveau film ira toujours nourrir un peu plus leur narratif (quoi, dialectique j’ai dit ?). Qu’importe qu’un film soit bon ou pas bon (avec ce que ça implique de subjectivité assumée encore une fois), qu’on l’aime ou pas (pourquoi ne pourrait-on pas défendre des films, les aimer, tout en reconnaissant qu’ils sont mauvais ?) : un nouveau Nick Carter, un nouveau Fantomas, un nouveau Flash Gordon, un nouveau Indiana Jones, ça ne fait jamais que nourrir le mythe. Et quand un de ces “épisodes” est raté, cela n’est jamais alors parce que le film serait, intrinsèquement, jugé comme mauvais, mais parce que son “auteur” aurait présenté des “intentions” qu’eux seraient capables de juger qu’elles ne sont pas conformes au mythe (à la franchise) initial ou tout au contraire n’auraient su correctement le rebouter.

Qui se cache derrière Matrix, qui en est l’auteur ?… 

Le gros du public, dont je suis, n’a pas apprécié le 2 et le 3, au risque déjà d’altérer le souvenir, et la vision, qu’il se faisait du premier.

Pourquoi, pour le gros du public, le premier avait été une claque et la suite d’épouvantables supplices ? Eh bien, j’ose le croire, parce que le premier est un chef-d’œuvre technique, narratif, il fait partie de ces films rares où tout semble s’aligner au bon moment, avec les bonnes personnes et avec les techniques arrivant à leur maturité au bon moment.

Les intentions des frangines ? Je m’en moque. Ce qui m’importe en tant que spectateur à ce moment, ce sont les intentions hautement spéculatives, et très largement influencées par la sidération que me procure le film au moment où je le vois. Quand on a une telle claque en tant que cinéphile, les interprétations sont multiples, c’est même souvent à ça qu’on reconnaît un grand film. Personne ne voit le même film, et c’est peut-être ça déjà, le premier niveau de lecture “meta” du film.

Parce que pour le reste, l’essentiel, ce qui fait la réussite du film, du premier, c’est l’évidence encore compréhensible de son récit, la folle ingéniosité de ses trouvailles techniques, son design fou, le fait que pour la première fois enfin un film de SF arrivait à convaincre avec le cyberespace (Ghost in the Shell venait juste de montrer la voie). Dans les précédents ratés hollywoodiens, ce n’était pas les bonnes intentions qui manquaient… mais la bonne histoire, la bonne exécution. Le bon moment.

En matière de films SF, je ne crois qu’aux miracles. Je ne crois ni aux auteurs de SF, ni aux intentions, ni au savoir-faire (cf. Ridley Scott est-il un auteur ?). Tous les grands films de SF sont comme des générations spontanées qui se perdent dans le temps comme les larmes dans la pluie… D’abord, ils sont rares. Et leurs suites, toujours, capitalisent sur une œuvre initiale jamais égalée. Ce qui veut dire que comme dans tout serial, on joue sur la répétition, sur les digressions vers des personnages déjà connus, sur ce qui se joue avant, après, au-dessus, au-dessous, etc., et sur la nostalgie aussi beaucoup. Il faut se rappeler ce qui s’est passé avec ces vieux serials. Certaines resucées médiocres, voire sans doute peut-être déjà des sabotages assumés, peuvent radicalement changer la perception qu’a un public pour une œuvre initiale. Jusqu’à l’oubli pur et simple. (Nick Carter ? Die Spinnen ? Les Exploits d’Elaine ?) Peut-être que le public d’aujourd’hui a plus de facilités que celui d’hier à avoir accès aux œuvres initiales, mais on peut aussi supposer que le public reste toujours plus enclin à s’intéresser à des films récents. Et pour ce public, viendra un moment où avoir plus facilement accès à Matrix 4 achèvera la possibilité pour eux de voir Matrix 1. Eux n’ont aucune nostalgie. Je serais même prêt à penser qu’avec d’autres blockbusters sur les rangs en décembre, le film aurait encore plus fait un four.

À voir si à force de vouloir saboter le film, (intention supposée) Lana ne prendrait pas le risque d’enterrer un mythe. Elle joue avec le feu, si pour moi, ni elle ni sa sœur ne sont véritablement « auteurs » du film (puisque je le range dans les « petits miracles spontanés du cinéma SF »), elle peut encore en être le fossoyeur.

Y a-t-il quelqu’un au bout du film ?


Échanges avec trineor :

« Personnellement j’ai immensément aimé Reloaded à l’époque, beaucoup aimé Resurrections il y a une semaine, et toujours été assez convaincu que ceux qui avaient adoré le premier mais trouvaient que les suites racontaient n’importe quoi aimaient le premier sur un malentendu. »

> Et peut-être que si tu étais honnête avec toi-même, tu émettrais également cette hypothèse que ce malentendu peut aussi venir de toi. :)

Tout est toujours affaire de malentendus. On pourrait faire un sondage auprès des auteurs, leur demander s’ils pensent que leur œuvre a été comprise, et je serais prêt à parier qu’une grande majorité répondrait non.

En revanche, le spectateur a toujours raison. Il n’a jamais tort d’avoir compris ce qu’il a compris d’une œuvre. Ce qu’il a compris lui appartient. Ce que tu as compris t’appartient. Et je suis loin de penser que ce que les frangines ont compris elles-mêmes de leur œuvre ait un sens. Une cohérence.

On est peut-être nombreux à ne rien avoir compris du film initial qu’on adore, en revanche, sans notre naïveté, aucune de ces suites n’aurait été possible.

« D’où : 1. On ne peut prétexter du malentendu toujours, partout, pour tout dire d’une œuvre ; parfois il y a dans l’œuvre quelque chose qui dit explicitement non et résiste à ce qu’on en dit.

2. La fréquentation régulière d’une œuvre augmente la connaissance que nous en avons. »

>

Je suis d’accord. Mais je vais utiliser une allégorie, ou une comparaison je ne sais trop, pour essayer de te faire comprendre pourquoi je n’adhère pas aux films qui jouent trop sur ces malentendus (et sans interdire à qui que ce soit de le faire). Pour moi, un bon récit, c’est comme une histoire drôle. Le ton, l’attaque, la lancée, l’ambiance, l’astuce qui la compose, sa durée et surtout sa chute, tout ça est important. Mais si au moment de la chute, on ne comprend pas. Tu peux toujours ramer, expliquer, la blague a raté.

Je suis désolé, je vois une parfaite cohérence dans le premier film. Un film qui n’a aucunement besoin des surenchères proposées dans les suivants.

Toi, tu aimes les films qui te disent quelque chose, quitte à y passer cinq ou six films, quitte à contredire ce que tu disais dans le précédent tout en arrivant après un bullet time théorique à retomber sur tes pieds, mais qui revient en fait à dire « vous pensiez avoir compris, je vais vous expliquer que vous n’y avez rien compris ». Bref, décrit ça comme tu veux, vois-y une cohérence d’ensemble inaccessible pour les intransigeants de mon genre, moi, je reste ferme sur mes principes : la cohérence, c’est le spectateur qui la crée.

En tant que spectateur, c’est mon droit de refuser qu’après avoir adhéré à une proposition narrative et esthétique qui tenait la route dans un premier film, on cherche à déflorer cette cohérence en imposant une surenchère ou une complexité inutiles exploitées dans des suites.

Le nouveau siècle a été déterminant dans ce domaine, car les sœurs n’ont pas été les seules à se vautrer dans cette surenchère. J’ai adoré Nolan quand il proposait Memento, parce qu’il te retourne le cerveau, et parce qu’à la fin comme dans tout bon récit qui se respecte tout redevient cohérent et lisible pour tous. Pas de twist pour t’expliquer que ce que tu viens de voir dans un film qui tient la route que ce que tu croyais être n’était pas tout à fait, et de devoir passer encore d’autres films pour trouver une nouvelle cohérence. Puis Inception est arrivé, et Nolan a commencé à vouloir ajouter une couche de complexité. Le twist est permanent, la volonté de perdre le spectateur est permanente, et c’est là que moi je dis, non, stop. Il ne faut pas confondre complexité et cohérence. Gigi Abrams fait pareil.

Dans un récit, une cohérence doit faire l’effet d’une évidence. Un dénouement, une résolution, doit rendre simple et claire ce qui ne l’était pas jusque-là. C’est mon droit de spectateur d’exiger cela des films que je regarde. Ce n’est pas un malentendu, c’est une exigence. Une exigence morale de spectateur. Si suite il y a, elle doit renouveler le plaisir du film initial sans renier les propositions narratives et esthétiques qui ont fait son succès. Si les suites servent à me dire que j’ai mal compris ou mal apprécié ce que j’ai vu : poubelle. Autrement dit, une franchise doit étendre son univers, pas le restreindre en remaniant, ou déconstruire, les éléments du premier pour les tordre vers une cohérence nouvelle. Étendre un univers, c’est ajouté des personnages, des histoires, respecter la proposition de départ.

Comme tout auteur, les sœurs ont tous les droits, mais c’est mon droit de spectateur de refuser d’adhérer à une proposition basée sur une surenchère des effets, sur une complexité réclamant une attention renforcée, et sur un reniement des qualités premières d’un film initial. Je peux prendre un exemple de surenchère : quand Néo se bat dans le premier, il est en apprentissage, il se bat d’abord contre lui-même, puis contre ses alliés, puis contre une poignée d’opposants parfaitement désignés. C’est clair, on ne fait pas plus classique comme récit. Arrive la suite, et on y voit un personnage principal avec des pouvoirs démultipliés, des alliés acquis à sa cause, une quête devenue tellement incompréhensible qu’elle en devient abyssale, et des opposants qui se comptent par milliers. Ce n’est pas un récit, c’est de la bouillie.


The Endrix Activation

Wonder Woman 1984, Patty Jenkins (2020)

Novland

Note : 1.5 sur 5.

Wonder Woman 1984

Année : 2020

Réalisation : Patty Jenkins

Avec : Gal Gadot, Chris Pine

Je n’avais pas vu un film bourré d’autant d’approximations scénaristiques depuis un bon moment.

Le film aborde tellement de sujets nécessitant une bonne contextualisation et compréhension du domaine abordé qu’il faudrait faire revoir toutes les secondes du script par des spécialistes. Mais même en s’y connaissant à peine, on devine facilement que ce travail n’a pas été fait, on pourrait ainsi passer des heures à relater les assertions dramatiques irréalistes ou tout bonnement fantaisistes. Ça donne furieusement l’impression d’avoir été écrit par un enfant de dix ans. À force de vouloir contenter ses plus jeunes fans, on en vient sans doute à écrire comme eux…

Une des premières propositions dramatiques contextuellement discutables qui m’a bien fait marrer, c’est quand l’archéologue prétend qu’elle dispose dans son bureau de bien d’autres machins plus chers que la pierre des miracles… Même dans Indiana Jones, on aurait échappé à un commentaire aussi stupide de la part d’une chercheuse.

Les maladresses scénaristiques s’enfilent ensuite à la chaîne, ça en devient même follement drôle. Le jeu ne consiste plus qu’à essayer d’en relever le plus possible.

Déployer une telle artillerie pyrotechnique pour un scénario aussi mal conçu, alors que faire relire son scénario par des spécialistes avant d’engager des frais pharaoniques devrait être la base, et que n’importe quel pékin serait capable de pointer du doigt instinctivement les éléments susceptibles d’être foireux, ça relève franchement pas mal de la catastrophe industrielle, voire de la faute professionnelle ; ou des deux unis, ce qui pourrait être bien le signe cette fois d’une décadence totale des productions hollywoodiennes dans le genre, rappelant les pitreries grotesques dont elles étaient capables dans les années 60.

Le film précédent était pourtant une réussite…


 

Wonder Woman 1984, Patty Jenkins 2020 | Warner Bros., Atlas Entertainment, DC Entertainment


Liens externes :


Wonder Woman, Patty Jenkins (2017)

Pompier de service

Note : 4 sur 5.

Wonder Woman

Année : 2017

Réalisation : Patty Jenkins

Avec : Gal Gadot, Chris Pine, Robin Wright 

Plutôt étonné du résultat. J’avoue que je me pointais devant cette soirée TF1 sans grand enthousiasme. Le début n’est pas si vilain, c’est même beau à voir dans le genre cité insulaire paradisiaque à la Seigneur des anneaux. Guère convaincu au début par le jeu d’actrice de Gal Gadot ; encore moins par celui de Chris Pine qui, à chaque fois que je l’ai vu, me fait penser à un sous Matt Damon ; le film réussit en fait à me prendre par les sentiments et à me gagner par son humour résolument… féministe (si tant est que ça veuille dire quelque chose). C’était même une expérience plutôt étrange de ne pas être convaincu par les acteurs et se bidonner malgré tout des audaces et des gentilles et piquantes trouvailles du scénario de la première heure.

D’autres doutes pointent le bout de leur pique un peu avant les premières batailles sur le « front », et je commence à faire mon rabat-joie (si, si), en trouvant que… tout de même, il n’y aurait pas un peu de grossophobie et de laidophobie quand même derrière tout ça ? C’est vrai quoi, la grosse est forcément pleine d’humour et au service des autres, et les laids (en particulier la fille magnifique, chimiste du Reich, sévèrement enlaidie pour l’occasion) sont forcément dans le camp du mal. Je suis toujours un peu taquin avec le féminisme (surtout dans un film qui selon moi est le pire moyen pour faire passer aussi ouvertement une morale ou une idéologie — ça passe beaucoup mieux en soft power), alors vous pensez bien qu’un film dont il se raconte qu’il pourrait être féministe (ou pas, selon les interprétations), il fallait bien que je vienne y mettre mon grain de sel…

Au final, concernant le féminisme supposé ou non du film (tendance « représentation de la femme au cinéma »), franchement, on est loin du compte : il ne fait pas de doute que le message intrinsèque et/ou involontaire véhiculé dans le film, c’est celui que la femme idéale est forcément belle, et accessoirement… toujours une princesse (c’est un piège de toute façon auquel personne ne pourrait échapper avec une telle adaptation : il faut respecter un tant soit peu l’image sculpturale du personnage original). Si on regarde le film cette fois sous l’angle de l’égalité des sexes, et si on juge par conséquent son refus de tomber dans certains clichés et codes montrant la femme comme évidemment plus faible et à la merci des hommes (ou d’un homme, celui à qui elle plaît et à qui elle se doit alors d’être soumise à ses désirs), on est là encore loin de la perfection. Si Diana montre une certaine audace et indépendance d’esprit vis-à-vis de sa mère, dès qu’un homme entre dans sa vie, elle redevient curieusement une petite fille docile (ce qui, en plus, n’est pas tout à fait conforme à l’idée assez asexuée du personnage original parfaitement rendu dans la série et qui lui donnait une autorité certaine — une sorte de caractère infaillible à la John Wayne — mais c’est vrai aussi que l’humour de la première heure tient dans cette posture contrastée entre petite fille tout émue par l’arrivée de cet homme providentiel et son éducation amazone).

Ce n’est pas tout de balancer quelques répliques qui piquent et chatouillent le patriarcat sous le scrotum et de jouer les dures quand il est question de se battre au milieu de tous ces virilistes en uniforme, faudrait peut-être aussi que Diana montre au mâle qui lui plaît, quand vient le moment de le séduire, que contrairement aux femmes pas encore tout à fait émancipées de son époque, l’insoumission totale aux hommes est pour elle une évidente nécessité. Pourquoi devient-elle tout à coup soumise quand ils s’enlacent pour une petite danse, et pourquoi arrivés dans la chambre, elle est clairement en position d’attente vis-à-vis de son amoureux ? L’insoumission réclamée et légitime, elle commence là. Si on a des femmes (ou des féministes) qui attendent toujours dans ces circonstances particulières que l’homme fasse le premier pas (signe qu’elles se soumettent à ses désirs au lieu de se mettre, elles, à commencer à prendre l’initiative), il y aura toujours une forme de schizophrénie dans le féminisme de ce siècle. La femme ne doit pas attendre que l’homme guide ou soit le seul moteur des décisions, et cela, dans tous les domaines. Celui (ou donc celle) qui est souvent le plus audacieux, le plus conquérant, c’est parfois celui qui gagne la partie, quitte parfois à imposer ses vues aux autres qui se satisferont de cette position d’attente. Et c’est aussi en ça que les femmes se retrouvent toujours sous-dimensionnées si on peut dire par rapport à certains hommes qui osent toujours tout et tout le temps. S’il y avait une femme qui aurait pu montrer cette voie, cette audace d’action jusque dans l’expression de ses désirs (comme les femmes des pré-code films dans les années 30), c’était bien cette Wonder Woman. Et cela, malgré sa jeunesse. C’est typiquement ce que certains appellent le male gaze, or ces séquences de séduction sont réalisées par une femme. (Oui, c’est un argument de plus pour moi pour dire que cette idée de regard sexué pour un cinéaste n’existe pas.)

Malgré ça, je dois avouer que le film a finalement su me convaincre également à travers ses scènes d’action. C’est stupide, mais j’adore la danse, la chorégraphie pour être plus précis, et il y a dans les batailles ou les scènes d’action, dans certains films parfois, une recherche purement formelle qui peut presque miraculeusement donner quelque chose d’élégant ou tomber inexplicablement à plat (John Woo en est un bon exemple). D’abord, dans un univers aussi gris et sombre, les couleurs bariolées et excentriques, presque kitsches, de Diana, j’avoue que ça fait son petit effet. Ensuite, si j’étais déjà fan de la série, il y a toujours eu une forme d’élégance chez Diana qu’on ne retrouvait pas par exemple dans… Xéna la guerrière. Pourtant Gal Gadot, au niveau de l’élégance, elle est un poil en dessous de Lynda Carter. Cette manière de se tenir étrangement, les épaules en arrière et la tête en avant comme un vautour, ça n’a pas vraiment grand-chose à voir avec le maintien d’une reine, mais plutôt avec celui d’une adolescente rebelle et fâchée… Là où en revanche Gal Gadot, bien aidée sans doute par les effets spéciaux, fait mieux que Lynda Carter, c’est dans le côté athlétique. La danse acrobatique, c’était une des disciplines de base dans les principes et les cours donnés par Ned Wayburn, le chorégraphe des Ziegfeld Folies. La mise en scène reprend les ralentis apparus depuis Gladiator je crois, mais c’est particulièrement pertinent ici parce que ça met bien en valeur les pirouettes gravitationnelles des Amazones et donc de Diana.

Et puis, j’ai beau pester contre la laidophobie (et donc plus globalement contre une répétition un peu stupide pour un film présenté comme féministe des clichés sur l’indispensabilité de la beauté pour une femme parfaite), ainsi que la posture ou le jeu de Gal Gadot, l’actrice a tout de même… une longueur de jambes, des yeux d’un noir profond et un sourire pas vilain qui, par Zeus…, m’ont fait oublier tout rapport possible au féminisme et rappelé à mes vicieux biais de spectateur mâle privilégié, et ainsi fait goûter à la morale finale bien avant la fin (du film, pas de ma phrase) : « Si les hommes sont capables du pire en matière de violence, ils sont aussi capables d’amour… Ah, l’amour, l’amour (aveugle), toujours l’amour. » La société nous permet-elle encore de tomber amoureux des actrices de cinéma ? De fantasmer sur elles jusqu’au point de se surprendre malgré soi à reluquer leurs jambes et leurs courbes avantageuses ?… C’est encore autorisé ? Eh bien allons-y alors. Je suis fou de Gal Gadot, et ça, ce n’était pas gagné. (Beau joueur, je la laisserai, elle, se jeter à « lasso » vers moi.)

Une image de synthèse en train de danser. Wonder Woman, Patty Jenkins 2017 | Warner Bros., Atlas Entertainment, Cruel & Unusual Films, DC Entertainment, Dune Entertainment, Tencent Pictures, Wanda Pictures


Pour en finir avec le supposé féminisme du film, j’avoue que ça me fait joyeusement rire (je ne parle pas des petites répliques et situations du début du film), et je repense aux idéologies retournées comme des crêpes dans les films. Mon exemple de référence, c’est Tueurs nés où la confusion entre violence et dénonciation (vaine) de la violence desservait totalement le film. Ici, c’est le contraire, non seulement je prends un plaisir coupable devant un tel spectacle rococo et pyrotechnique, mais la confusion du message censé être féministe me régale, et cela, non pas parce que je me réjouirais que le féminisme se vautre wonderfolliquement, mais parce qu’au fond, au-delà du fait que ça fasse malgré tout réfléchir quant à la possibilité ou de la pertinence de mettre aussi ouvertement (ou tragiquement) une idéologie au cœur d’un film, cela montre surtout l’impossibilité de définir ce qui devrait être pro ou antiféministe. Et pas que dans un film. Et que plutôt de mettre au centre du « débat féministe » certains sujets indéfinissables, creux ou eux-mêmes, ironiquement, stigmatisants (le male gaze, le patriarcat, le manspreading, le mansplaining, le manterrupting, la rape culture, la charge mentale, etc.), on aurait tout à gagner à chercher à adopter des comportements « égaux » quelle que soit la personne, et identifier des problèmes d’inégalités bien réelles et bien spécifiques sur lesquels, potentiellement, on a prise. Si un film véhicule malgré lui une certaine idée de la femme, eh bien j’aurais tendance à dire que c’est un film, on peut (et on doit) certes essayer de viser un changement des comportements à travers le cinéma (tendance soft power toujours), mais difficile de légiférer sur la créativité. En revanche, il serait beaucoup plus facile de le faire dans la publicité et dans les médias (tout comme il ne me semble pas bien compliqué de rendre les protections hygiéniques gratuites, ramener le nombre de jours de congé de paternité à celui des femmes et les rendre obligatoires, pousser pour la parité dans les conseils d’administration, les assemblées, etc.).


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Jack Reacher & Mission Impossible : Rogue Nation, Christopher McQuarrie (2012-15)

Jack Reacher & Mission Impossible : Rogue Nation

Note : 3.5 sur 5.

Note : 3 sur 5.

Jack Reacher / Mission Impossible : Rogue Nation

Année : 2012 /2015

Réalisation : Christopher McQuarrie

Avec : Tom Cruise, Rosamund Pike, Richard Jenkins / Tom Cruise, Rebecca Ferguson, Jeremy Renner

C’est sympathique de m’avoir prévenu que le scénariste de Usual Suspectsfaisait des films. J’avais vu Way of the Gun, il y a bien longtemps (pas bien brillant, alors que je me souviens de mon enthousiasme d’alors en allant voir le film), et laissant de côté le cinéma contemporain après ça, j’avais totalement perdu de vue le bonhomme. Je prends donc le train en marche, un peu d’indulgence.

Sa réalisation, à ce bon vieux Christopher (prénom damné à la réalisation), n’est en fait pas si différente de celle de Bryan Singer, même si on peut déplorer que pour les deux garçons ces formes de mise en scène très découpées aient souvent été mises au profit de franchises (les deux y sont manifestement abonnés, leur premier film laissait pourtant augurer le meilleur). Est-ce que ce rythme forcé aux effets continus, ce n’est pas mieux que la « ligne claire » encore hitchcockienne des polars des années 80-90 ?…

Bref, la franchise Mission Impossible n’a plus rien à envier à celle de James Bond. Les deux flirtent maintenant systématiquement avec le ressort narratif complotiste. À l’image de l’évolution des rapports de force géopolitique depuis la chute du bloc de l’Est. Faute de mieux ? Je n’en suis pas sûr. L’ennemi tout-puissant n’est désormais plus ni soviétique ni un savant fou bien identifié, mais des organisations de l’ombre qui tirent les ficelles et corrompent toutes les machines démocratiques du monde. Je ne suis pas sûr que ça illustre si bien que ça la nature des conflits actuels, et cette mise en scène de complots constants et insaisissables (ça date déjà, on en voit les prémices à la télévision avec X-files ou Lost), j’aurais même presque peur que ça ne fasse qu’alimenter un peu plus la défiance du public pour ses gouvernants. En lieu et place des grands complots mondiaux, il y a surtout des pratiques illicites de la part d’individus issus des grandes richesses du monde qui visent à préserver et enrichir un peu plus leur patrimoine parfois avec la complicité passive des États (et donc des scénaristes de Hollywood). Ils font ça individuellement, à moins de considérer que les paradis fiscaux représentent une forme d’organisation mondialisée, avec le seul but de s’enrichir sur le dos de la société. Aucun réel complot comme on peut le voir dans ces films pour qui l’image du méchant doit toujours prendre un visage unique et pour qui la structure de ces « énergies de l’ombre » est calquée sur la mafia plus que sur les lacunes des États. Et ça, c’est bien un problème de ne pas l’évoquer dans des films actuels, parce que non seulement, on passe à côté des grandes manœuvres quasi mafieuses (le quasi à son importance) de notre époque, mais on nourrit et instrumentalise des imaginaires incohérents qui, in fine, profitent toujours à ces mêmes acteurs « de l’ombre », les grandes richesses, qui ne sont jamais montrées du doigt, et aux extrémismes.

Jack Reacher, Christopher McQuarrie 2012 | Paramount Pictures, Skydance MediaH2L

La défiance du peuple vis-à-vis de ses dirigeants n’a jamais été aussi grande, on élit des imbéciles d’extrême-droite, et les univers mentaux illustrés dans ces films y sont sans doute en partie responsables. C’est d’autant plus ennuyeux quand un des promoteurs de ces imaginaires « alternatifs » est un acteur-producteur promoteur également de la plus grande secte du monde. Les sectes, ce n’est pas des complots de l’ombre, ce sont des problèmes bien réels qui pourrissent la vie de milliers de personnes, s’enrichissent sur leur dos et promeuvent elles aussi des idéologies dangereuses pour les individus et la société.

Cela étant dit, paradoxalement ou non, il se trouve que j’aime bien ce que fait Tom Cruise… Faut être un peu schizophrène. La plupart du temps, depuis maintenant plus de dix ans, il s’appuie sur Christopher McQuarrie. OK, Keyser Cruise… On est rarement dans le chef-d’œuvre, il faut l’avouer, mais ce qu’ils proposent n’est pas mal du tout (si on met de côté les critiques exposées dans les deux précédents paragraphes). Oui, même dans ce domaine, il faut séparer l’homme de l’artiste, et cela, même quand des films font, à mon avis, plus la promotion des faux complots au détriment des vrais ou des quasis (influence des ultra-riches sur les politiques du monde, développement des extrêmes et des sectes). Mais je ne fais que prendre le train en marche, les films d’action n’ont vraisemblablement pas vocation à décrire le monde qui les entoure tel qu’il est, ni à dénoncer ses travers.

« Monsieur, votre billet n’est pas en règle. Veuillez descendre au prochain arrêt. »


 
Mission: Impossible – Rogue Nation, Christopher McQuarrie 2015 | Paramount Pictures, Skydance Media, Bad Robot

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The Revenant, Alejandro González Iñárritu (2015)

Root Bear Man

Note : 3.5 sur 5.

The Revenant

Année : 2015

Réalisation : Alejandro González Iñárritu

Avec : Leonardo DiCaprio, Tom Hardy, Will Poulter

C’est encore ce qu’il y a de plus digeste chez Alejandro. J’y retrouve le côté brutal des meilleurs films de Mel Gibson. Pour une fois, la sophistication de la mise en scène d’Iñárritu me paraît plutôt bien servir son sujet, précisément parce que le sujet présenté est d’une simplicité limpide. Une qualité que j’ai toujours appréciée chez Gibson, et qui fait plaisir ici. Toute cette sophistication vise précisément à être immersive sans être pour autant insistante ou l’objet principal du film : le grand-angle, les séquences filmées au plus près de l’action grâce à un steadicam sans coupes apparentes, le tout épicé d’effets spéciaux invisibles mais évidents (comme dans les meilleures séquences d’Alfonso Cuarón, dans Children of Men ou dans Gravity) sans faire pour autant du plan-séquence une obstination, ça paraît être le choix idéal pour un tel film.

Reste que ça ne mène pas bien loin pour autant, la brutalité réaliste ne pouvant à elle seule faire un film. Mon intérêt tout personnel, et bien particulier je dois le reconnaître. Pour les premiers films de Mel Gibson, il était de découvrir à travers cette réalité brute, des univers rarement exposés au cinéma. J’avoue que très vite, je me suis laissé à penser ici le même type de film, celui d’un homme isolé appartenant à un « clan » dans un univers pour nous exotiques, pour lui, froid et hostile, et cherchant à retrouver d’abord les siens après avoir été grièvement blessé par un ours, puis chasser l’assassin de son fils (voilà qui est en somme le résumé d’un film d’un peu moins de trois heures), le tout dans un monde que j’aurais préféré, certes, non pas de trappeurs nord-américains du début du XIXᵉ siècle, mais de chasseurs, sapiens ou néandertaliens, au cœur d’une Europe paléolithique, par exemple. Il m’a toujours semblé dommage qu’un film comme La Guerre du feu n’ait pas déclenché une mode de films préhistoriques, comme Le Pacte des loups pour ce qui est du Moyen Âge provincial. Il suffit de peu parfois pour contenter un spectateur, et des westerns, j’en ai déjà assez vu. Celui-ci a donc au moins le charme de sa singularité. Le film étant, ce qu’on a coutume désormais de dire, un « film immersif », l’objet (le décor) de cette immersion est capital. Et ça l’est d’autant plus quand le sujet réduit à rien peut s’effacer devant cet objet de curiosité et quand le spectateur peut profiter de lui sans être distrait par des artifices grossiers de mise en scène.

La performance de DiCaprio est bien sûr impressionnante, mais tant qu’à être réaliste, je m’étonne de le voir si fringant ne serait-ce qu’après avoir été chatouillé et baladé de droite à gauche par un ours. Au moindre mal de tête, je n’ai déjà plus de force et tous mes mouvements se font au ralenti ; Leonardo, lui, encaisse chaque coup comme si c’était son dernier souffle : je mets au défi n’importe qui, et de bien portant, de gémir comme Leonardo, de ramper sur des bras comme Leonardo, et de ne pas s’écrouler de fatigue au bout de dix minutes. Alors, la même chose, dans un froid polaire, affamé, lacéré de toutes parts et bouffé par la fièvre (plaies infectées oblige), même le plus vaillant des hommes (ou des hommes de Néandertal si on retourne à mes rêves de spectateurs) n’aurait une telle vaillance. Au mieux, l’œil est hagard et les mouvements lourds. C’est moins photogénique, un acteur qui joue l’agonie sans panache. Mais il faut bien ça, sans doute, pour capter notre attention de spectateurs dégourdis par deux décennies de superpouvoirs.

Dernier mot sur la musique : quand reviendra-t-on un jour à de la vraie musique ? Depuis quelques années, et le funeste Hans Zimmer qui a enterré la mélodie sous un gros voile de basses, on n’a plus qu’une suite d’accords mous (des cordes ici) rehaussée au mieux de deux notes toutes les dix secondes pour accentuer la tension. C’est triste de s’interdire ainsi toute portée poétique et de devoir subir, film après film, ces musiques censées nous dicter la moindre émotion.


 

 

The Revenant, Alejandro González Iñárritu 2015 | New Regency Productions, RatPac Entertainment, New Regency Productions


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The Assassin, Hou Hsiao-hsien (2015)

Note : 2.5 sur 5.

The Assassin

Titre original : Ci ke Nie Yin Niang

Année : 2015

Réalisation : Hou Hsiao-hsien

Pour faire simple, je n’ai rien compris et, très vite, lassé par une mise en scène qui fait illusion dans un film contemporain mais fait pschitt ici, je n’avais plus l’intention de comprendre. Hou Hsiao-hsien n’est pas pour moi, il me parle chinois.

Après, c’est décorativement parlant très joli. Les intérieurs sont soignés et les extérieurs sont époustouflants. Ça n’a juste pour moi aucun intérêt. Dès le premier panneau, j’étais déjà aux pâquerettes, et en retrouvant le style de mise en scène inutilement lent de Hou Hsiao-hsien, j’ai commencé à m’agacer.

Le pire entre tous ces effets n’aidant pas à suivre une ligne de récit particulièrement fine et fragile, la gestion du son avec ces hors-champ de nature, en particulier le vent, poussés à fond les manettes. C’est un peu comme essayer de lire du Corneille avec du Led Zeppelin en arrière-fond.

Je le dis souvent, si un réal fait tous les efforts possibles pour que ce soit moi qui en fasse le plus en retour, il n’y a aucune raison que j’accepte de me faire avoir de la sorte : les efforts, c’est à lui de les faire pour que j’en fasse, peut-être pas le minimum parce qu’aucun plaisir ou intérêt ne peuvent se faire en laissant son cerveau à la cave, mais pas trop (d’effort). C’est comme ça qu’on m’a appris à donner à voir au théâtre ; c’est comme ça que j’entends être servi au cinéma. Je peux à la limite en faire pour des génies, mais Hou Hsiao-hsien avec l’ensemble de ses manières adoptées pour cacher son manque de savoir-faire en matière de mise en scène, ne m’aide pas plus à ce niveau.


 

 


 

Ad Astra, James Gray (2019)

Ad vitam macadam

Note : 3 sur 5.

Ad Astra

Année : 2019

Réalisation : James Gray

Avec : Brad Pitt, Tommy Lee Jones, Donald Sutherland

Le viol de Martin Sheen par Hal 9000 finissant par accoucher d’une souris neurasthénique.

Il faut être maso déjà pour se coltiner la référence 2001, mais rajouter celle d’Apocalypse Now, ça ne passe plus du tout. Si Gray voulait échapper à la critique habituelle du film de SF qu’on compare immanquablement au film de Kubrick / C. Clarke en noyant le sien sous une seconde référence, c’est raté. Parce que pour le coup, cette seconde référence saute encore plus aux yeux. Avoir la prétention de dépasser 2001 quand on fait un space opera, ma foi, cela a du sens, mais coller autant à deux films, en en empruntant autant d’éléments, avec comme prétexte apparent d’y adjoindre un thème cher à son auteur, celui des difficiles relations père/fils, ça me paraît être une entreprise bien plus hasardeuse si on ne prend pas suffisamment de recul avec les chefs-d’œuvre dont on emprunte les arguments respectifs ; surtout si on colle autant à leur trame, et qu’on se révèle incapable de les concurrencer au niveau de la mise en scène.

Sur le papier, pourtant, oui, il y a une proximité dramatique entre le film de Kubrick et celui de Coppola qui pourrait justifier une tentative de rapprochement : les deux adoptent probablement à leur manière la plus belle (et la plus efficace) histoire du monde, celle de L’Odyssée. On pourrait donc imaginer un jour un mix autrement plus convaincant entre ces deux chefs-d’œuvre, si toutefois on arrivait à s’affranchir de leur emprise. Si Ad Astra est un exercice raté de composition, il démontre à nouveau une chose : que la réussite d’un film dépend moins de son argument que d’infinis détails de mise en scène servant à l’illustrer. Et de la mise en scène, James Gray ne semble pas s’en préoccuper beaucoup. Par exemple, l’obstination à ne laisser aucun détail au hasard, que ce soit chez Kubrick ou chez Coppola, passe par l’adoption de la meilleure musique possible. C’est le cas de beaucoup de chefs-d’œuvre. Que seraient ces films sans leur partition ? Est-ce qu’on imagine 2001 avec une musique de Eric Serra ou Apocalypse Now avec une musique de Philip Glass ou de Hans Zimmer ? Gray n’a peut-être pas l’ambition de proposer un grand film, c’est possible. Auquel cas il n’aurait pas choisi cette navrante musique d’ascenseur spatial. Peut-être a-t-il opéré un tournant depuis The Lost City of Z (voire depuis le pathétique The Immigrant), et tente-t-il alors de se situer au carrefour du film à grand spectacle et du film d’auteur… Au risque de perdre certains de ses admirateurs, dont je fais partie, en route. Soyons honnêtes, ce luxe, peu de cinéastes a pu en bénéficier. Le seul fait qu’il puisse (avec l’aide des financements de Brad Pitt, il faut le croire — il avait déjà produit The Lost City of Z) tenter sa chance une seconde fois est un luxe supplémentaire. Rappelons tout de même que Z n’est pas une franche réussite : si chacun pouvait avoir son mot à dire sur la qualité du film (signalons toutefois que le film n’a reçu aucune nomination dans des festivals ou prix prestigieux), personne ne pourra contester les chiffres du film qui selon IMDb aurait perdu 10 millions de dollars. Tout cela est le signe peut-être qu’il n’y a guère que par chez nous (en Europe) qu’il est vu et considéré comme un auteur. À y regarder de plus près : Little Odessa semble avoir été repéré par le festival de Venise ; c’est ensuite Cannes qui le porte aux nues pour ce qui compte peut-être pour ses meilleurs films : The Yards, La nuit nous appartient et Two Lovers. Il n’est plus rappelé à Cannes depuis The Immigrant, signe, là encore, du tournant pris par le réalisateur.

Tout ça pour dire que oui, Gray a du talent, mais qu’il se fourvoie peut-être depuis trois films à faire ce dont il ne me paraît pas le mieux armé. Ce que j’appréciais de mon côté dans ses premiers opus, c’était la profusion de personnages, les conflits et l’ambiance feutrée qui ne me paraissaient alors pas découler d’un processus de mise en scène, mais plus d’une tension relative aux seules situations. Ce dernier point est important pour moi parce qu’en cherchant à se lancer dans des films plus commerciaux, Gray se serait en quelque sorte retrouvé dans l’obligation d’user d’éléments de la mise en scène qu’il ne maîtrisait alors pas vraiment. Il ne faudrait pas confondre Gray et Scorsese par exemple : la force de ses premiers films tient beaucoup plus dans sa capacité à créer des situations tendues que dans celle de les tendre… par le biais d’une mise en scène savante pleine d’artifices. Il y avait jusque-là (avant The Immigrant) peu d’artifices dans ses films, et j’aurais volontiers pu, de mon côté, parler de lui comme d’un cinéaste avant tout bon scénariste ; et plutôt un scénariste lorgnant vers David Mamet, voire Woody Allen (cette manière de décrire un milieu, une ville, New York) plutôt que Tarantino (les deux sont apparus la même année). Je ne vois aucune raison pour laquelle James Gray se serait tout d’un coup transformé en maître de la forme. Les mouvements de caméra, les angles recherchés, les jolis décors, le jeu avec le hors-champ, la composition sonore, la musique, le montage, tout cela, ça n’avait jamais compté parmi ses préoccupations. Son truc, c’était l’écriture, le milieu dépeint, les conflits (souvent intérieurs déjà). On peut certes proposer alors un cinéma… d’exploration spatiale en se focalisant sur la seule matière scénaristique, ou sur les personnages, un space opera intérieur, mais c’était un peu comme si en voulant se rapprocher d’un style plus commercial, aux portées plus ambitieuses, il s’était écarté de ce qui faisait alors la force de son cinéma. Apocalypse Now, c’est aussi la version de Coppola d’Au cœur des ténèbres adapté dans la jungle de la guerre du Vietnam : tout autant que le voyage, les doutes du personnage principal, c’est tout le milieu militaire déjanté qu’il décrit qui intrigue. Une plongée dans un milieu déterminé, voilà qui aurait pu plaire à James Gray. Pourtant, il ne s’empare pas de cette possibilité, choisit l’épure en concentrant la totalité de son récit autour du personnage interprété par Brad Pitt. L’introspection tient peut-être encore de la marque « Gray », mais tout ce qui navigue autour de lui paraît inexistant et ne pas intéresser le cinéaste. Ce qui ne poserait aucun problème si cela ne soulevait un nombre monstre d’incohérences : quand le hors-champ est laissé volontairement de côté, il peut rester flou mais paraître plausible, réel, légitime ; ici, au contraire, dès qu’un élément apparaît, il semble ne pas avoir d’existence propre en dehors de l’utilité dramatique pour laquelle il a été conçu. Certes, c’est un peu le principe du voyage, on rencontre des personnages, des situations, des îlots qu’on sera amenés à retrouver nulle part ailleurs, seulement chez Homère par exemple, ces rencontres sont menées à leur terme et constituent des épisodes à part entière dans la vie d’Ulysse. Ces épisodes peuvent durer des années quand ceux que traverse Roy McBride peuvent ne durer que quelques secondes. Vous parlez d’une expérience de vie… Plutôt express comme rencontres. Surtout que l’astronaute n’en tire pas véritablement de leçon ; au mieux, ces épisodes lui permettront d’appui, de prétexte, à relancer son soliloque sur sa relation au père, jamais à enrichir le personnage. Le voyage intérieur que semble proposer James Gray me paraît, à tous les niveaux, statique, redondant, et donc raté.

Tous les épisodes relatés lors de ce voyage (« à la recherche de papa ») semblent ainsi être constitués d’éléments étrangers les uns des autres, avec des passages obligés qui peinent à trouver un autre sens que celui, platement géographique souvent, de devoir traverser une frontière ou un obstacle. Qu’est-ce qui oblige McBride à devoir passer incognito par la Lune, puis de prendre un buggy en surface, puis par Mars, etc., si ce n’est pour essayer de coller peu ou prou aux types d’aventures rencontrées dans le film de Kubrick et plus certainement encore dans celui de Coppola ? Des pirates sur la Lune, sérieusement ? Vietnamiens alors. Et surtout, pourquoi tous ces chichis pour se rendre dans la région de Neptune quand il pourra toujours retourner vers la Terre en mode express à la fin du film ? Aucune explication. Des passages obligés, des scènes imposées, à faire, non pas par la logique, mais pour suivre le cheminement de la trame d’un film préexistant. La référence est pesante. Le modèle évident.

La Valkyrie sur la Lune

Mais tout cela procède de la structure dramatique. James Gray aurait ainsi collé à ses aînés en proposant un « corps de texte » plus consistant, et ce n’était plus un problème. Pourtant, c’est bien sur ce qui est censé être son point fort, que Gray peine à donner de la consistance à son film. Ainsi libéré de la pesanteur d’un milieu social, du noyau familial, d’un dilemme, de la gravité d’une situation, ne semble rester du James Gray des premiers films que la tonalité dépressive, introspective, et la répétition d’une même rengaine qu’il pense peut-être pouvoir reproduire sans fin parce qu’elle désigne l’objectif de la mission de son personnage principal : trouver le père. Une fois qu’on a dit ça, aucune des réflexions de Roy McBride n’arrive à élever le niveau. Si le film que James Gray voulait est là, je ne demande pas du Hamlet, mais une écriture, du sens, des mots. Pas du blabla de monsieur tout le monde.

L’idée d’un monologue comme on peut en voir dans Apocalypse Now avait pourtant tout pour me séduire. Je ne suis pas sûr qu’on y trouve non plus dans le film de Coppola de grandes envolées lyriques ou profondes comme on en trouve chez Conrad. Et c’est bien là qu’il faut revenir au génie purement formel d’un Coppola : ce monologue, il arrive à le rendre envoûtant grâce aux nombreux artifices de sa mise en scène. La musique des Doors, les angles de caméra, les fondus, les surimpressions, les ellipses, le montage sonore (d’une richesse inouïe et n’illustrant pas bêtement ce qu’on voit à l’écran), la variété des décors, des situations, des temporalités diverses, et surtout un sens du rythme et du récit hors du commun. Autant d’éléments que Gray n’a jamais véritablement mis en avant dans ses films, mais qui manquent quand il faut illustrer une quête, un voyage, où les séquences explosives succèdent aux autres servant de respiration.

Pas de rythme, pas d’intensité, sans respiration, sans variation. C’est un autre des paris risqués de James Gray, et un autre pari perdu : faire de son personnage une sorte de Droopy que rien n’atteint émotionnellement. Son rythme cardiaque ne dépasse jamais les 80 pulsations par minute (proposition à la véracité scientifique douteuse, équivalent du « Je n’utilise que 80 % de mon cerveau quand je réalise des films » cher à Luc Besson). Donc littéralement, volontairement, Gray décide d’anéantir toute idée de rythme et de tension dans son film. Une proposition qu’on pourrait trouver géniale dans un contexte de distanciation, on parlerait alors d’incommunicabilité (vu que c’est précisément ce dont il s’agit, tant avec son père qu’avec les extraterrestres), sauf que là encore, Gray ne s’empare pas de cette possibilité, et avance, inerte, porté par une logique narrative rythmée par les seuls seuils géographiques rencontrés par son personnage principal (et quand les personnages secondaires tentent de s’opposer à son voyage, la solution est vite trouvée, aucun conflit, aucun dilemme, aucune recherche de dialogue, de consensus, d’échange pour commencer… une histoire). Ici, on peut imaginer que Gray se soit laissé prendre par la volonté de croire que cet aspect pouvait coller, faire référence, à 2001. Si c’est ça, je ne serais pas d’accord : 2001 est lent, mais son rythme est imparable. Quand Kubrick ralentit le rythme, c’est pour porter l’attention du spectateur sur les éléments du décor, sur une situation qui s’éternise, sur l’attente d’un événement craint ou simplement sur la beauté d’une image (une beauté souvent basée sur un conflit, un dialogue, à l’intérieur même de ce qui la compose, que ce soit des éléments de l’image qui s’opposent, le hors-champ, l’incongruité d’un son ou d’une musique, etc.). Il y a donc tout sauf du vide dans le film de Kubrick. De la même manière, les rares dialogues de son film, loin de chercher à jouer à un concours de truismes sur les relations entre les êtres, mettent en situation des personnages qui sont censés ensuite prendre une connotation plus symbolique (le jeu d’échecs comme annonciateur d’une menace à venir, les hallucinations de Hal en train de rendre l’âme, etc.). En bon réaliste qu’il est, Gray présente son sujet de manière frontale, plus prosaïque. Ce qui marche parfaitement dans une situation avec divers personnages parce qu’on peut jouer sur les choses qu’on cache, qu’on se dit et qu’on ne comprend pas, qu’on voudrait entendre, qu’on dit à une personne quand on devrait les dire à une autre… Mais quand on est dans une situation qui n’en est pas une, à savoir un type posé dans un coin qui balance au spectateur ses pensées intimes, ça ne marche plus. D’ailleurs, on voit les difficultés rencontrées par James Gray pour mettre en scène, en situation, ces temps de pause et de monologue : il trouve comme astuce le passage obligé de l’évaluation psychologique, mais il y a recours bien trop souvent (c’est aussi une situation statique qui n’offre pas beaucoup d’opportunités visuelles et matérielles : Brad Pitt fout un capteur sur sa carotide, gros plan, blabla, et rien d’autre).

Un des rares jolis plans du film

L’occasion pour moi d’évoquer brièvement la réalisation de James Gray. Même si on sent le cinéaste assez peu concerné par les scènes d’action, c’est encore ce qui est le plus réussi dans son film. La première séquence sur le chantier de l’ascenseur spatial trouve son intérêt par sa seule valeur illustrative : celle de montrer à quoi pourrait ressembler une telle superstructure actuellement théorique. Et par la force des choses, les scènes d’action chahutant souvent une situation à une autre, d’un décor à un autre, d’une action à une autre, Gray se trouve comme obligé pour le coup de suivre la logique de son récit et d’adopter une mise en scène, toujours sobre, réussie, même si c’est évidemment effectué sans génie. Dès que la situation n’impose plus de mouvement, tout devient alors statique et aucune astuce convaincante ne permet d’échapper, parfois même avec un seul personnage présent, aux ronflants champs-contrechamps (bien que seul, le personnage solitaire peut interagir avec des écrans — pas franchement ce qu’il y a de plus « cinégénique »). Aux scènes d’action se succèdent donc les autres d’introspection (de rares dialogues), et le film s’appesantit sans que Gray n’arrive jamais à y insuffler le moindre rythme ou intensité. Ce qui ne serait pas un problème si Gray arrivait à y instiller de la profondeur, que ce soit à travers les mots de son personnage ou par le biais d’une quelconque illustration capable de nous plonger dans son environnement immédiat ou psychologique (ce qu’il fait rarement — et mal — en s’aidant des possibilités offertes par le montage, les sons, la musique ou divers éléments de décor).

Qu’est-ce qui fait d’ailleurs qu’on se sente peu concernés par cette introspection ? On entre en empathie au cinéma ou ailleurs quand on prend le temps au moins d’une présentation : on place le personnage dans une situation, un conflit introductif, et la manière de s’en sortir doit, d’ores et déjà, nous montrer les qualités à venir du personnage et les potentielles failles qui le freineront dans son futur parcours. Autant de clés pour la suite du récit. C’est sans doute ce qu’a essayé de faire Gray à travers cette séquence d’ascenseur spatial. Seulement, bien que catastrophique, cette séquence n’aide pas à en apprendre beaucoup plus sur le personnage qu’elle est censée introduire : Roy McBride se laisse littéralement tomber et ne peut guère y changer grand-chose. En plus, il vit seul cet épisode (qu’on pourrait espérer) traumatisant, et n’a donc pas à composer avec d’autres personnages susceptibles de l’aider, le conforter dans ses choix ou au contraire s’opposer à lui (un avant-goût certes de ce qui suivra, mais justement, ça n’aide pas). Il s’en tire comme par miracle (ça deviendra une habitude) — une chance à peine croyable qui aurait plutôt tendance à attirer l’antipathie du spectateur, et surtout qui ne sert pas réellement de tremplin ou de pas de tir pour initier la trajectoire à venir du personnage : les conséquences logiques et psychologiques de cet événement sont vite balayées quand il est reçu par on ne sait quels responsables qui prennent prétexte d’un briefing post-traumatique pour lui proposer une mission secrète… (exemple parfait de deux « séquences à faire » composées grossièrement avec un rapport de cause à effet douteux). Autre problème, si on commence en mode introspection, cela signifie qu’on traînera du début à la fin cette même humeur impassible. Difficile de s’identifier à un personnage qui n’évolue pas, est confronté à assez peu de personnages extérieurs (et quand c’est le cas, se contente de hocher la tête et de faire ce qu’on lui propose de faire ; non pas qu’il soit docile, mais que chacune de ces obligations ou suggestions arrivent à chaque fois à propos : « je peux aller aux cabinets ? Ça tombe bien je n’avais pas fait depuis trois jours, mais comme je suis impassible, je me retiens sans serrer les dents depuis tout ce temps. Journal intime : j’ai enfin fait caca, je ne disais rien, je suis un héros. ») Gray pourrait toujours dire, et il aurait raison, que dans 2001, les personnages sont assez inconsistants à ce niveau. Mais Gray n’est pas Kubrick. (« Maintenant que j’ai fait caca, je vais pouvoir vous parler de mon papa. »)

Et pourquoi Gray n’est pas Kubrick ? Eh bien, en dehors des nombreuses raisons évoquées ici (dont la principale, que Gray avancerait certainement pour sa défense : il ne cherche pas à l’être), il y en a encore une qui m’a chiffonné tout le film. J’ai déjà dit que Gray avait un sens assez limité (un intérêt même) des artifices techniques, visuels, esthétiques… Pour de la science-fiction, Gray situerait volontiers, je suppose, son style dans le réalisme. Son film ne me semble pas être pour autant de la hard SF, de nombreux épisodes étant particulièrement improbables (celui où son personnage joue les surfeurs d’argent au milieu des anneaux de Neptune afin de retrouver son vaisseau laissé à des milliers de kilomètres de là est peut-être celui qui m’a laissé le plus perplexe), pourtant il semblerait que, même situé dans un avenir dont il est dit qu’il n’est pas si lointain (mais dont on sait qu’il y a déjà une génération née sur Mars…), il ait voulu éviter les décors au design trop travaillé, favorisant ainsi les décors fonctionnels supposément plus réalistes. Un choix intéressant, même considérant le fait qu’on se trouve probablement ici aux alentours du prochain siècle, on peut en effet parier que le matériel employé sera assez peu différent et toujours aussi fonctionnel. Pour résumer mon impression : c’est foutrement laid. Il n’y a pas un habitacle de vaisseau qui diffère d’un autre : tous les modules sont interchangeables, les cloisons identiques, les portes et sas sans fantaisie aucune… Bref, c’est loin d’être un plaisir pour les yeux (et on est à des années-lumière de Kubrick — je voudrais l’écrire en tout petit). La dernière chose encore qui puisse fasciner, et émouvoir par sa beauté, est encore ce qu’il y a de plus banal dans le monde : une vue en hauteur de notre magnifique planète. Une consolation rare dans une constellation de tiroirs en plastique et d’armatures en acier. Oui, l’aspect esthétique dans un tel film, ça joue.

Ad Astra, James Gray (2019) | New Regency Productions, Bona Film Group, CAA Media Finance

Pour reprendre ce que dit Edgar Morin du film (oui, le grand cinéphile), c’est vrai qu’il faut reconnaître que là où beaucoup de space operas vont taper à la porte de nos amis imaginaires en suggérant (ou espérant) que des ET puissent y répondre, Ad Astra propose au contraire de souligner le fait qu’on a beau taper à la porte, envoyer des signaux, chercher, espérer, on n’y voit et n’y entend goutte : le vide spatial ne nous renvoie inlassablement que le signe de notre solitude. Magnifique idée, c’est vrai, conforme au réalisme du Gray, soucieux peut-être de rester les pieds sur terre et fidèle à ce que dit la science aujourd’hui sur les possibilités d’une rencontre de ce type. Toutefois, les bonnes idées ne font pas les bons films. Ses références de départ, aussi, n’étaient peut-être pas les bonnes : 2001 et Apocalypse Now sont peut-être réalistes dans la reproduction des mondes qu’ils décrivent, ils portent en eux des aspirations fascinantes qui les amènent bien au-delà de simples faits ou constats retranscrits froidement. L’erreur a peut-être été de mêler là encore deux choses qui ne s’y prêtaient pas pour James Gray : le constat de l’absence d’altérité à l’intelligence humaine dans le cosmos, s’il peut en effet être déprimant, n’a surtout en fait pas beaucoup de liens avec le sujet récurrent et moteur du film, la recherche du père (c’est même le contraire : le père pour un fils, c’est le premier « autre » qu’il apprend à connaître).

Au chapitre des incohérences, je me dois de soulever quelques interrogations (auxquelles je n’ai pas forcément de réponses) qui y sont aussi pour quelque chose dans la pénibilité ressentie tout au long du film. Est-il crédible que depuis une génération, Mars soit colonisée, mais que dès qu’on dépasse la ceinture d’astéroïde, le Système solaire externe avec ses géantes gazeuses semble pratiquement être abandonné des colons ? (Ça donnerait presque l’impression que le système jovien et le système neptunien sont des mondes vides et inintéressants, voire inaccessibles — ce n’est ni le cas aujourd’hui, même si bien plus difficile que pour les objets du Système solaire interne, ni dans le film puisqu’il suffit de quelques jours pour faire le chemin inverse vers la Terre.) Est-il crédible de sortir de sa trajectoire comme ils le font avant d’arriver sur Mars pour aider un vaisseau en détresse ? (Un vaisseau spatial, ce n’est pas une barque qu’on peut dévier à loisir ou une voiture à laquelle on peut faire un créneau ou arrêter à un stop.) Des rayons cosmiques sur Terre émanant d’explosions d’antimatière issues elles-mêmes de bombes nucléaires présentes sur un vaisseau d’exploration à la dérive dans la région de Neptune et dont l’explosion complète permettra de rejoindre la Terre ?! Heu, rien capté. Sur Mars, quel est donc ce canal souterrain qui permet à Roy McBride de se faufiler jusqu’au lanceur sur son pas de tir ? (Un peu facile, non ? Besoin d’un passage souterrain pour réunir dramatiquement un point a à un point b : j’en fous un sans avoir à expliquer son utilité diégétique.) Voilà pour les quelques interrogations scientifiques. Pour les autres incohérences dramatiques, ce serait trop fastidieux de les énumérer et de les retrouver dans ma mémoire défaillante sans avoir fait caca…

Le rythme cardiaque de mon cher Jimmy peut redescendre : le tableau n’est pas si noir. Dans l’obscurité des salles de cinéma…, tous les navets sont gris. (Rires complices de singes de laboratoire.) J’entrevois une bonne nouvelle avec Ad Astra : la possibilité pour des cinéastes sans grands moyens de s’emparer du genre SF sans avoir à passer par des effets spéciaux ridicules. Ad Astra en somme pourrait être l’avènement de la science-fiction, ou plus précisément du space opera, low-tech. Pendant longtemps, alors que pour adapter un roman noir il suffisait d’un chapeau, d’un pardessus et d’un peu de pluie, les mêmes artifices pour adapter Arthur C. Clarke ou Frank Herbert coûtaient un bras : le vide sidéral n’est pas à la portée de toutes les bourses. Eh bien, maintenant, à une époque où parallèlement le secteur du spatial voit arriver chaque jour de nouveaux acteurs issus du privé et où, par conséquent, l’accès à l’espace se démocratise, on peut pareillement être crédible au cinéma quand on a peu de moyens et qu’on souhaite mettre en images une épopée spatiale. Tout le monde peut s’emparer de cette nouvelle possibilité : la télévision l’avait fait depuis longtemps en renvoyant au garage Cosmos 1999 ou Star Trek, c’est peut-être au tour maintenant des cinéastes dits indépendants. Pas de mouvements de vaisseaux spatiaux compliqués à faire numériquement, des décors de modules spatiaux répliqués sur les catalogues Ikea du secteur du spatial, un fond vert racheté à un youtubeur, et le tour est joué. Manque plus qu’à trouver des sujets, à adapter toute une littérature hard SF/space opera, déjà existante. Et peut-être verrons-nous alors bientôt des films comme Moon (voire Seul sur Mars en moins dispendieux et en plus space opera) mis en orbite chaque mois. Si Ad Astra ouvre la voie, même avec une constellation de demi-réussite, c’est la SF entière qui y gagnerait. Assurément alors, d’autres grands films verront le jour, et de plus en plus de cinéastes souhaitant se frotter au space opera parviendront à s’affranchir de l’attraction kubrickienne et de son 2001 : L’Odyssée de l’espace.



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